mercredi 31 octobre 2012

"Amour", Michael Haneke



Aller voire Amour relève d’une démarche bien étrange de la part du spectateur. Son sujet est difficile, impossible de ne pas savoir de quoi il s’agit après sa consécration au festival de Cannes et son casting d’acteurs éclatants. Non pas que tout sujet difficile et bouleversant traité dans l’art, et notamment au cinéma, relève d’une démarche masochiste pour qui va découvrir l’œuvre – beaucoup de grands films et de grands sujets manqueraient alors à notre culture – mais le sujet d’Haneke a une spécificité : le drame nous projette dans ce qui nous concerne absolument tous à plus ou moins brève échéance, que l’on en soit les protagonistes ou les témoins aimants : le naufrage de la vieillesse, de la maladie qui nous ôte progressivement tout contrôle de nous-mêmes : parole, sphincter, jambes, intellect… la déchéance du grand âge quand la vie pourtant reste là, à emplir désespérément nos poumons. Avec mes 30 ans, je me lance dans ce film plus sereine qu’un vieillard a priori. J’ai un peu plus de temps pour voir venir. Et pourtant, pas si sûr… Je me suis étonnée en effet devant la salle comble qu’une majorité du public dépassait les 60 ans ; non que je les enterre déjà les sexagénaires, mais je n’ai pu m’empêcher de penser combien la projection pour eux devait être encore plus cruelle ; ils sont théoriquement à un âge où la peur de vieillir, la maladie qui guette etc. sont plus présentes qu’en pleine fleur de l’âge, non ? (Exception faite de quelques grands angoissés qui depuis leur jeunesse n’ont cessé d’entrevoir l’issue fatale qui nous attend tous.) Si moi j’ai pu percevoir dans ce film un futur plus ou moins proche qui me bouleverse en tant que fille, si j’ai pu y associer quelques tristes souvenirs de ma grand-mère alitée les derniers mois de sa vie, si j’ai pu y lire l’indéfectible amour qui peut lier deux êtres qui ont été beaux, jeunes et puissants aujourd’hui vieux, boitillants et qui tuent le temps, qu’y a vu une personne de l’âge des personnages ? Qu’est-ce qui nous guide dans ce désir de voir ce qui nous effraie le plus et qu’on ne pourra arrêter le moment venu ? Que cherche-t-on à la rencontre de ce film d’Haneke ? A nous effrayer ? Ou au contraire à effectuer la bonne vieille catharsis et regarder tellement en face cette tragédie qui est indissociable de la vie qu’on en sortira plus fort une fois confronté à elle ? Je n’ai pas vraiment de réponse.
Car inutile d’attendre d’Haneke une quelconque transcendance poétique de son sujet. Fidèle à sa méthode, il étudie de façon minutieuse et quasi-clinique ce naufrage, cet amour qui s’acharne à vouloir vaincre la maladie. Le constat est froid, sobre, jamais il ne s’épanche, ne s’apitoie sur les personnages. Il commence par les regarder vivre encore bien portants dans les premières scènes, orchestrant avec une délicatesse qui fait écho à celle des personnages – intellectuels distingués – les petits moments qui rythment les journées des vieux amants. Puis la maladie d’Anne survient et ces petits riens de la journée deviennent des événements tant ils sont laborieux (la toilette, le repas, le lever…) Le regard d’Haneke se pose plus précisément sur le personnage de Georges – JL Trintignant – et sa perception des événements. Il est celui qui garde le cap et ses facultés, qui soigne sa femme, qui établit le relais avec l’extérieur et leur fille, mais qui ne tarde pas à juger que cette vie les concerne eux seuls, qu’elle n’est pas un spectacle qui mérite la peine d’être partagé avec les autres. On sent que leur amour était exclusif jadis, il l’est encore aujourd’hui une fois au bord de l’abîme. Comme Georges le dit à sa fille qui passe de temps en temps les voir et qui lui reproche de ne pas avoir répondu à ses coups de fil : « ton inquiétude m’encombre, je n’ai pas besoin de ton inquiétude ». Oui, il livre un combat perdu d’avance, les médecins le lui ont confirmé et pourtant… il lutte avec son amour jusqu’à ce que la mort les sépare. C’est un film poignant même si je ne sais toujours pas si la douleur qui m’accompagne pendant et après est salutaire. Ah, cet Haneke qui ne cesse de me bousculer… Haneke célèbre l’amour, pour sûr, mais il choisit l’un de ses visages les plus dérangeants puisqu’il décide d’en raconter la mort. Et je ne suis décidément pas faite à cette idée.

vendredi 26 octobre 2012

"Después de Lucía", Michel Franco



Il y a des films dont on sort sonné. Después de Lucía fait partie de ceux-là. Pour ma part, je n’avais pas grande idée du sujet de ce film mexicain, et voilà que j’entre dans la vie de la jeune Alejandra et de son père. Ils changent de ville, de vie, à la suite d’un deuil que l’on devine ; Lucía la mère, est morte quelques mois plus tôt dans un accident de voiture. Le père et la fille tentent chacun de dompter leur chagrin, un nouveau départ est pris dans la ville de Mexico. Pour le père, chef cuisinier, il s’agit de remonter un restaurant, pour sa fille de s’intégrer dans un nouveau lycée, de se faire des amis et de poursuivre ses études le mieux possible. Il existe entre eux un amour et une pudeur tels qu’ils essaient de ne pas encombrer l’autre de leur chagrin respectif. Lui pleure en douce quand elle quitte la pièce et elle ne raconte que les aspects positifs de sa nouvelle vie. Ainsi elle pense lui faire plaisir en lui annonçant qu’elle est conviée à passer un week-end chez l’une de ses camarades, la preuve qu’elle se fait une place et qu’elle est appréciée : en effet elle est jolie, sympa et exotique pour les autres. Un peu secrète, elle tait les raisons pour lesquelles elle est venue vivre à Mexico, sa retenue, malgré elle, entoure son personnage d’un certain mystère qui ne tarde pas à séduire le beau mec de la bande. Les copines qu’elle s’était faites jusque là commencent à la jalouser, surtout lors du week-end en question où Alejandra, saoule, finit dans les bras du bellâtre à l’issue d’une soirée bien arrosée. Le jeune don Juan immature a pris soin de filmer leurs ébats pour mieux les diffuser sur le web… Sa réputation de salope commence à courir les couloirs du lycée, elle se défend à peine, préoccupée qu’elle est de ne pas contrarier son père qu’elle aime tant. Elle a le malheur de se taire, de montrer une seule fois qu’elle peut céder à leur chantage et c’est toute la mécanique du harcèlement qui se met en place. Ses camarades ont saisi qu’elle ne se plaindrait pas aux adultes. Ils ne connaissent pas la raison profonde de sa faiblesse et s’en moquent, ils ont trouvé une proie idéale et vont prendre un malin plaisir à infliger les sévices les plus cruels qui soient à leur bouc émissaire. Jeunesse dorée, ces lycéens n’ont au sens large aucune éducation, il ne respectent pas plus les chambres d’hôtel qu’ils saccagent de leur mégots et de leurs vomis qu’ils ne respectent un être humain. 



Le ressort magnifique du scénario est l’amour qu’Alejandra porte à son père, qui la contraint à se taire ; elle s’inflige ce silence toute seule, son père s’il savait prendrait sa défense, la croirait sur parole, se battrait contre les petites frappes qui la martyrisent. Pourtant, Alejandra se mure dans l’enfer de son silence, et les tortures se multiplient. La sobriété de la mise en scène de Michel Franco évite tout spectaculaire. Au sens propre, nous sommes les spectateurs impuissants de la descente aux enfers de la jeune fille, nous sommes le hors champ, nous ne pouvons réagir, forcés que nous sommes d’assister aux mauvais traitements qu’elle subit, comme tous les témoins physiques dans la fiction qui se taisent eux aussi. Privilégiant les plans fixes, Franco fait vivre les longues scènes dans la temporalité du réel, imposant progressivement la cruauté des traitements qui ne sont jamais annoncés mais intégrés à la normalité du reste de la scène ; ainsi, lors de la soirée en voyage de classe, une chambre d’hôtel rassemble les jeunes qui papotent, flirtent sur les lits, boivent des bières. Dans la profondeur de champ une petite porte donne accès à la salle de bain ; régulièrement, des jeunes garçons y entrent, y restent un peu, en ressortent pour indiquer aux copains qu’ils peuvent s’y rendre à leur tour. Nous, nous savons que dans la salle de bain est reléguée Alejandra, elle a été virée plus tôt de sa place sur le lit par une camarade. Nous la découvrirons plus tard, recroquevillée dans un coin, comprenant alors que les uns et les autres ont fait de ce corps ce qu’ils voulaient… et pendant ce temps, la fête bat son plein dans la chambre, tous savent ce qui se trame dans cette salle de bain, par leur participation muette et leur apparent désintérêt, tous sont complices… Le film nous violente à notre tour par ce contraste entre l’anodin d’une soirée entre jeunes, vécue cent fois, et l’anomalie qui se trame dans le fond, là, derrière la porte de  la salle de bain, racontée avec la même simplicité formelle que le reste. Le film a le grand mérite d’aborder un sujet grave, tellement grave qu’on voudrait s’en défendre en pensant que non, ça n’est pas possible, il en fait trop. Michel Franco nous assène une claque en pleine figure qui met en lumière une réalité sociale avec les dérives de l’argent et du supposé pouvoir qu’il accorde même chez de très jeunes gens, une propension naturelle à la cruauté dont certains sont dotés, et surtout un amour filial si généreux et total qu’il mènera ses protagonistes aux pires souffrances. Un comble.


... AUSSI EN SALLES EN CE MOIS D'OCTOBRE, LES FILMS :

"LIKE SOMEONE IN LOVE" ET "IN ANOTHER COUNTRY" QUE J'AVAIS CHRONIQUES EN JUIN DERNIER.

A VOIR AUSSI !!

jeudi 11 octobre 2012

"La liste de mes envies", Grégoire Delacourt



Une lecture d’été, pensais-je, dans le genre facile à lire et charmant… Plus que cela, La liste de mes envies et un roman très sensible sur une paire bien connue : argent et bonheur font-ils bon ménage ? Plus encore, devenir riche quand on a vécu jusque là très modestement, est-ce l’Eden annoncé ? Les faits divers sont nombreux quant à ces gagnants du Loto devenus maboules, flambeurs tombant dans la dépression une fois réalisés tous leurs désirs les plus dingues, paranoïaques aigus tant l’argent attire à eux les âmes vénales… Mais qu’en est-il d’une telle révolution sur un couple installé et pas malheureux ?

Jocelyne Guerbette, dite Jo, tient une mercerie à Arras, pas bien riche la Jo mais fine mouche et le cœur gros comme ça. Elle n’aurait pas perdu sa maman si brusquement, là, sur un trottoir un matin, elle aurait fait sans doute de bonnes études puis aurait eu accès à un poste haut placé. Mais voilà, la nécessité l’a poussée à travailler vite pour assurer le tout courant et notamment l’institut où son cher papa qui a perdu la boule est pensionnaire… Jocelyne est mariée à Jocelyn surnommé Jo lui aussi, ouvrier à l’usine : leur étreinte un soir a décidé de leur vie : un premier fils, un deuxième enfant qui n’a pas vu le jour puis une fille. Jo n’a pas la vie rose et romantique qu’elle espérait à 15 ans mais elle sait aussi se satisfaire de ce qu’elle possède déjà. Et puis elle a lu Belle du Seigneur, elle ne se leurre pas trop sur l’amour tel qu’elle le fantasmait à l’adolescence. Son mari n’est pas la finesse incarnée mais il est un peu son bad guy à elle, il est gentil, lui fait les cadeaux qu’il peut ; elle a ses copines, son blog dixdoigtsdor cartonne, ses enfants vont bien… Elle a conscience du précieux de ces petites choses quotidiennes et les apprécie même si elle aimerait offrir à son homme la voiture dont il rêve ou encore se payer de belles robes… Aussi, lorsqu’un jour elle joue enfin au Loto, poussée par ses copines qui y voient l’issue de secours qui les obsède, et qu’elle gagne dix-huit millions, elle garde pourtant la tête froide. Pour commencer, elle n’en parle à personne. Elle inaugure une liste qui identifie les besoins qu’elle a, les cadeaux essentiels qu’elle voudrait faire… En douce, elle se rend à la Française des Jeux à Paris pour retirer son chèque. Elle se pose alors la seule question qui vaille la peine d’être posée : a-t-elle plus à perdre qu’à gagner en empochant ce chèque ?
En déroulant le fil d’une histoire d’amour, d’un amour vrai qui n’a pas le toc du glamour des papiers glacés, l’auteur Grégoire Delacourt explore avec beaucoup de tendresse le territoire de la remise en question au sens large. Ici, c’est l’argent qui fait réfléchir Jo à sa vie parce qu’il est susceptible de tout transformer en lui donnant accès à tout ce qu’elle ne pouvait pas s’offrir : écran plat, appartement, voyages de luxe et… nouveau mec aussi, pourquoi pas ? A moins que ce ne soit monsieur qui se découvre alors une nouvelle jeunesse et en choisisse une autre, plus jeune, plus jolie parce que l’argent rend toujours les hommes séduisants, hein … Il y a des moments cruciaux comme ceux-là dans nos trajectoires : le grand changement se profile, que fait-on ? Joue-t-on la prudence en conservant ce que l’on possède dans un train-train que nous connaissons ou prenons-nous le risque de vivre autre chose et autrement, tout en gardant certains repères que nous chérissons ? N’a-t-on jamais autant apprécié ce que l’on possède qu’au moment où l’on devine qu’on peut le perdre ? Toujours est-il que Delacourt a mis en scène une femme qui a oublié d’être idiote – ça, c’est toujours mieux dans une fiction, ça permet de poser des questions plus fines décidément –, que les livres l’ont nourrie (bel hommage au rôle de la littérature dans nos vies), et que malgré son discernement, Jo sera surprise. Car « on se ment toujours » comme le souligne la première phrase du livre, et ça change beaucoup de choses dans l’analyse que Jo croit faire de bonne foi…

mardi 2 octobre 2012

"Wrong", Quentin Dupieux

         Entrer dans le monde de Quentin Dupieux, c’est accepter de faire une croix sur tous nos repères habituels quant il s’agit de cinéma. Et c’est ça qui est bon… Avec Rubber, son précédent film, imaginez que le héros Robert the rubber était un simple pneu. Abandonné dans une plaine américaine désertique, couché sur le côté comme un vieux pneu usagé dont on pourrait faire une balançoire vintage dans le fin fond de l’Oklahoma, le voilà qui s’ébrouait, vibrait, se mettait en marche et roulait, jeunesse ! Il partait en balade et rencontrait vieilles canettes de cola, lapins, oiseaux et enfin, à mesure qu’il approchait de la ville et de la civilisation, des êtres humains ; il se révélait un étrange sérial killer. Un tremblement allant crescendo se mettait à agiter son caoutchouc jusqu’à l’explosion finale qui laissait son interlocuteur – lapin, canette, homme – raide mort. Bien sûr, personne ne se méfiait de ce pneu solitaire ce qui rendait son travail d’approche plus facile. En voilà une intrigue, hein. C’était une réussite ce Rubber tourné avec un simple appareil photo et quelques trucages savamment mis en œuvre.

Dupieux récidive cette fois avec Wrong, toujours tourné aux Etats-Unis mais avec la participation de son complice Eric Judor pour lequel il avait réalisé Steak, et qui tient ici le rôle d’un jardinier parlant anglais avec un accent français à couper au couteau … Le ton est donné dès le générique d’ouverture : la séquence va du plan le plus serré au plan le plus large, dévoilant par étapes la supposée cohérence de l’ensemble : un homme coiffé d’un casque de pompier est en train de lire le journal dans une lumière crépusculaire ; il est assis sur ses talons, la combinaison baissée sur ses chevilles, en train de faire ses besoins dans une sorte de no man’s land. D’autres hommes vêtus de tenues de pompier sont appuyés contre un camion et attendent on ne sait quoi, pas perturbés pour un sou par le spectacle de l’homme qui défèque sous leur nez. A quelques mètres, un véhicule est en feu, couché sur le flanc. Enfin, un dernier plan très large donne à voir la totalité du tableau jusqu’ici découpé comme un puzzle par segments : dans la fin du jour un camion brûle, des pompiers immobiles sont sur les lieux mais ne bougent pas le petit doigt tandis que l’un des leurs lit tranquillement le journal. Apparaît alors en très gros caractères le titre du film : Wrong.
Comme son titre l’indique, la vie du héros Dolph va prendre un tournant fâcheux, tout va aller de travers. Et le spectateur de pénétrer dans un monde où rien ne se déroule selon les codes attendus, suivant une logique où la norme commune est remplacée par d’autres normes, fantaisistes pour nous mais repères rassurants pour les personnages. L’anomalie devient la règle selon laquelle tout ce petit monde fonctionne.

L'acteur Jack Plotnick alias Dolph

Ainsi Dolph, le héros subtilement interprété par Jack Plotnick, mélange de détresse mélancolique et de rébellion tellement molle qu’elle est inefficace, vit seul dans une coquette maison de banlieue américaine. Un matin, son chien adoré Paul ne répond pas à l’appel de son maître : il a disparu. Dolph est très contrarié, il en parle avec son ami et voisin de l’autre côté de la rue qui est en train de plier bagage : un dialogue étrange s’établit. Le voisin n’a pas l’air étonné plus que ça de l’absence du chien, il n’a pas l’air de se souvenir de son existence. Dolph lui rappelle qu’il le voyait tous les jours lors de son jogging matinal, son voisin nie faire du jogging. Dolph lui rétorque qu’il jogge depuis 10 ans tous les matins. Que nenni ! lui répond l’ami. En revanche, l’ami met les voiles, il n’en peut plus de cette vie terne. Dolph veut-il venir avec lui et tout lâcher ? Certainement pas, Dolph a perdu son chien, il n’a pas envie de partir tout court et encore moins sans son chien. Fin de la conversation.
C’est le début pour Dolph de quelques jours bien déroutants. Il avait jusqu’à ce matin-là ses habitudes, pour certaines bien singulières, mais des habitudes : celle de continuer à aller travailler tous les jours dans l’entreprise qui l’a licencié par exemple. Ses collègues finissent d’ailleurs par lui signifier qu’il n’est pas normal qu’il vienne travailler ; en revanche, leurs conditions de travail ne leur posent aucun problème : il pleut a verse dans leurs locaux, ils sont trempés de la tête aux pieds, tapant malgré tout comme des dingues sur le clavier de leur ordinateur dégoulinant comme si de rien n’était. Mais que Dolph vienne travailler une fois licencié, ça c’est anormal !
Le désarroi de Dolph face à la perte de son chien est immense ; sa routine est brisée. Dérangé dans sa vie lisse et triste qu’il affectionne pourtant – son atelier de peinture ne présente que des essais ratés de portrait de son chien, ça en dit long sur sa solitude ! –, il est confronté à des personnages qui s’imposent brutalement dans son existence. Ainsi en est-il de Maître Chang, spécialiste du kidnapping d’animaux domestiques qui cherche à faire prendre conscience leurs propriétaires de la valeur inestimable de leur compagnon. Tyrannique le Chang sous ses allures de bonze méditatif ! Ou encore une standardiste nymphomane qui s’éprend de Dolph et accepte qu’il ait une fois le visage d’Eric Judor une fois celui de Jack Plotnick puisque le premier s’est fait passer auprès d’elle pour le second… Et enfin le jardinier Eric Judor annonçant à son patron que le palm tree du jardin s’est transformé dans la nuit en pine tree. Quelle histoire… Et Dolph de subir ces incursions en ne perdant jamais de vue son objectif premier : retrouver son chien, même s’il doit passer pour cela par la voie de la télépathie.
        Vous l’aurez compris, Wrong est un OVNI. L’art de Dupieux consiste à nous divertir mais aussi à poser de fines questions sur notre époque avec sa fable. L’incommunicabilité est totale, les personnages tous emprisonnés dans leur logique et pas du tout préoccupés de l’impact de celle-ci sur leurs rapports avec autrui ; comment définir ce qui est normal de ce qui ne l’est pas ? La routine est-elle le garde-fou qui nous protège des questions existentielles ou l’étau qui nous empêche de nous épanouir ? Un simple déplacement des codes du réel et Dupieux nous envoie sur la planète Mars. Tout tiendrait-il à si peu de choses entre harmonie et désordre ?? En voilà des questions soulevées, avec une fantaisie et une originalité indéniables.


vendredi 31 août 2012

"Mirror and music", Saburo Teshigawara


Il m’aura fallu une escapade berlinoise pour découvrir le spectacle du chorégraphe japonais Teshigawara intitulé Mirror and music, spectacle pourtant présenté à notre Chaillot parisien au printemps dernier… Très classe de le découvrir en Allemagne, surtout que c’était dans la valse des mille découvertes culturelles du week-end, sur un air de « et si on allait voir de la danse à défaut d’un concert du Philarmonique qui est en vacances ? ». Quand le petit bonheur la chance vous réserve l’une des plus belles émotions théâtrales de votre vie, oui de votre vie j’ai dit, c’est encore plus fou…
        Teshigawara s’est formé à la peinture avant de se consacrer à la danse et il signe ici la scénographie, la chorégraphie bien sûr, les costumes, les sons et les lumières… Ca vous donne une idée de l’ambition du monsieur. Dans la maîtrise parfaite de ces éléments, il donne à sentir tout ce qui fait le vivant, l’humain, le fini et l’infini de l’être qui mourra mais qui – dans l’intervalle de son existence – connaîtra joies, rivalités, force, fragilité, espoir, détresse… existera à travers d’autres êtres, d’autres formes. Rien n’est figé, rien ne meurt, tout se transforme. Plongé dans une atmosphère spectrale qu’aiguise l’ambiance sonore, le spectateur découvre quatre silhouettes encapuchonnées dans des bures de moines, leur visage est dans la pénombre, ils ne sont qu’ombres apparaissant et disparaissant au gré des lumières intermittentes qui vont à toute vitesse, donnant le sentiment qu’ils sont présents et absents à la fois. Placés sur le plateau à l’avant et à l’arrière scène, entre deux palpitations visuelles et sonores, un léger déplacement a pu s’opérer, conférant à notre vision de la scène une forme quasi hallucinatoire. Sont-ils vraiment là ? Fantômes parmi les ombres, on ne sait. Le tableau suivant rompt radicalement avec le cadre précédent et fait apparaître en pleine lumière des danseurs virevoltants qui surgissent des côtés cour et jardin, tournant sur eux-mêmes avec la fébrilité d’êtres nouveaux qui sont bousculés par la lumière, la force vive qui les habite, tels des éphémères qui auraient une seule petite journée à vivre et qui d’ici la fin du jour, auraient tout à donner, tout à vivre. L’épuisement est à l’orée de cette danse folle que rythme la musique baroque dans un ballet incessant où les cheveux des danseurs, leurs tenues fluides les font paraître semblables aux insectes qui foncent dans la lumière pour mieux venir y mourir.
         Plus tard, comme désarticulé, Teshigawara lui-même apparaît dans la lumière jaune d’un soleil doré, devant un mur courbe sur lequel est projeté sa silhouette en ombre chinoise. Animé d’un courant vital qui parfois l’agite en tout sens, parfois le « débranche » pour à nouveau mieux faire passer le courant dans tous ses membres, c’est une danse bouleversante qui évoque tant la fragilité, la boiterie, le handicap que le fluide vital qui nous habite et qui résiste plus qu’on ne croit aux chocs, altérations, émotions par lesquels nous sommes parcourus tout au long de la vie. Je ne peux décrire ici chaque tableau avec l’exhaustivité qu’il mérite parce que chacun d’entre eux est une plongée profonde en nous, un récit magnifié des oppositions qui font notre présence ici bas. A la fin, la course que se livrent les danseurs qui font en réalité du sur place, pantins que des fils invisibles tirent tantôt vers le haut tantôt vers le bas dans une lutte sans nom qui pourtant régit tous les rapports entre les êtres et même les générations, clôture le spectacle. On confine au sublime, on est réconcilié avec l’humanité devant tant de talent, tant de finesse réunis dans la tête d’un seul artiste. L’ambition de Teshigawara est immense, les émotions qu’il nous transmet infinies dans leur diversité et dans leur force. Si cette grande œuvre venait à se rejouer dans les parages, il faut vous offrir ce moment, autant de beauté c’est un cadeau d’une valeur inestimable ! Je sais, son nom est difficile à retenir mais faites un effort : Teshigawara.

vendredi 10 août 2012

"La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil", Sébastien Japrisot


      Un titre à rallonge pour un roman petit par la taille, immense par le brio. J’ai eu ma grande période Japrisot vers 20 ans après la découverte d’Un long dimanche de fiançailles, que notre Jeunet cinéaste a bien écorné dans sa vision éternellement sépia et adoratrice du zoom à grande vitesse, en offrant en plus le rôle titre à la Tautou dont la moue unique de film en film est irritante ! Passons.
J’avais enchaîné avec La Passion des femmes, L’Eté meurtrier, tous de beaux romans, puis La dame dans l’auto que j’avais dévoré goulûment tant l’intrigue était riche de suspense et admirablement ficelée. Quinze ans plus tard, retrouvant le petit bijou dans ma bibliothèque, je me souvenais de la qualité du  livre mais pas bien de l’intrigue, figurez-vous. Et en effet, j’ai été encore cueillie comme une parfaite débutante en pénétrant l’univers de la jolie et très myope Dany Longo.
La dame dans l’auto, c’est elle. Complexée par sa myopie qu’elle planque derrière une paire de lunettes noires, elle travaille dans une agence de pub, un peu par nécessité, un peu par lassitude… Sa vie n’est pas folichonne, pas de grand amour à l’horizon ni de revenus suffisants pour la faire rêver et pourtant, elle en a des rêves. Tellement qu’elle ment comme elle respire. Quand son patron lui demande un vendredi soir de venir en urgence taper chez lui le dernier projet client avant qu’il ne s’envole le lendemain pour Genève, c’est la nouveauté qui se profile ; Dany devra donc rester dormir dans la maison familiale où elle retrouvera son ancienne copine Anita qui elle – épouse du boss oblige – a vraiment réussi (je précède les féministes que cette dernière précision offusquerait :  le roman se déroule dans les années 60 !). C’est aussi une occasion à saisir pour satisfaire un chef qui lui donnait jusqu’ici l’impression d’être transparente. Dany ne sait pas que cette courte soirée va l’emmener bien au-delà du samedi matin et de Montmorency, au volant d’une magnifique Thunderbird, jusque dans le Midi de la France. Singularité supplémentaire de sa mission prolongée : partout où elle passe, on lui dit l’avoir déjà vue et le souvenir qu’elle a laissé chaque fois derrière elle est bien étrange. Est-ce possible d’arriver quelque part avant même d’être parti ? De retrouver partout ses traces alors qu’on n’est jamais venu ? Et d’avoir tué quelqu’un à 1000 kilomètres du lieu où l’on se trouve ? De quoi faire penser à Dany qu’elle perd la boule… à moins que la fieffée menteuse soit prise au piège des propres histoires qu’elle se raconte? Ou encore qu'elle soit la victime d’une farce morbide ?
Classé dans la catégorie polar et adapté à l’écran comme tous les romans de « l’usine à histoires » Japrisot, La dame dans l’auto est un modèle de fiction très, très habile. On est tout aussi dérouté que Dany Longo et on n’a qu’une hâte, parvenir au dénouement de ce road movie à l’héroïne inquiétante. On tourne les pages aussi vite que les kilomètres défilent au compteur de l’auto de Dany pour regretter ensuite l’avidité avec laquelle on a lu les 300 pages : ben ouais, encore un roman culte qu’on aura déjà lu ! A moins de s’y replonger une dizaine d’années plus tard, c’est ça qui est bon avec les bouquins. 


jeudi 2 août 2012

Ahae nous fait voyager depuis sa fenêtre


Merveilleux voyage immobile, l’imagination peut nous emmener très loin. Le regard d’un photographe derrière sa fenêtre, porté sur un seul et même paysage au fil des saisons, peut proposer aussi des visions qui confinent au rêve…
Ahae, artiste coréen passionné de nature, a passé trois ans au même endroit, armé d’un matériel de haute précision lui permettant de photographier du plus grand au plus petit, le paysage qui s’offrait à son regard. Devant la maison où il avait posé bagage, s’étendait une clairière avec un étang, bordée d’une forêt. Depuis son unique fenêtre, patiemment, passionnément, à chaque heure du jour et à toutes les saisons, il a observé le ciel, la campagne et ses habitants : sérénité d’une forêt aux couleurs irréelles en automne, blancheur des arbres recouverts d’un manteau neigeux, nuages aux formes toujours plus inventives, sétaires balançant dans la brise au bord de l’eau, biche venant boire au lever du jour ou se défendant de pies agitées venant picorer dans son pelage…  
Le travail d’Ahae offre le spectacle d’une nature infiniment changeante et belle, nous conviant à une promenade bucolique des plus apaisantes. Mais plus encore, la grandeur de l’entreprise d’Ahae, au-delà des formats inouïs que la technologie moderne lui a permis de réaliser – jusqu’à 10 mètres sur 5 ! – c’est nous inviter, l’air de rien, à saisir l’extraordinaire qui se cache derrière l’ordinaire ; illustrer combien la nouveauté, la beauté sont visibles du moment que l’on veuille bien s’arrêter un instant et apprendre à les regarder… Un simple changement de lumière, et l’eau de l’étang apparaît telle une surface rocailleuse ; à une heure différente de la journée, elle est semblable à une piscine de mercure. Incroyable Dame Nature qui modèle le paysage au gré des saisons et du regard plus ou moins attentif qu’on lui accorde. Incroyable expérience menée par l’artiste qui, tout en douceur, questionne notre rapport au monde au cours d’une promenade en forêt… et en nous-mêmes.

L’exposition se tient au pavillon éphémère du jardin des Tuileries, jusqu’au 26 août. Entrée libre, tous les jours, entre 10h et 22h.



lundi 23 juillet 2012

Le cirque Aïtal : quand le corps raconte plus que les mots


Ca faisait un bail que je ne m’étais pas installée sous la tente d’un chapiteau… Le cirque Aïtal promettait sur le papier acrobaties et autres voltiges entre deux artistes, Victor Cathala et Kati Pikkarainen. Couple à la ville et à la scène, le colosse toulousain d’1,87m et la gracile Finlandaise d’1,53m offrent un spectacle aussi drôle qu’émouvant, illustrant les méandres du couple à travers la rencontre de leurs corps acrobates. 
Entre dans la petite arène une Simca rouge qui hoquette avec au volant, un gros chien qui aboie en rythme de la musique. La voiture fait marche arrière après cette vision fugitive et  revient cette fois avec à son bord, un couple. La situation de départ nous laisse penser que le couple arrive au bord de la mer ; l’avant de leur voiture devrait contenir le moteur, il est en réalité aussi riche d’objets que le sac de Mary Poppins, un passage se faisant entre l’habitacle et lui. Sorte de dressing géant, la voltigeuse y passe régulièrement se changer en s’échappant comme d’un ressort de son siège passager pour se vêtir tour à tour d’un maillot de bain ou d’une tenue de mécano. Personnage à part entière, la Simca est douée d’une autonomie qui rend fou les deux compères ! A chacune des ouvertures de portière, l’appareil radio dérape et change de morceau, le couple faisant tout son possible pour stabiliser la bande son dans un ballet d’actions mécaniques et burlesques à la Tati. A force de titiller l’antenne et son fil, monsieur finit par hisser madame sur ses épaules afin de stabiliser l’onde radio le plus haut possible : nous y voilà, les acrobates entrent en scène.
Le scénario des vacances à la mer est l’occasion de portés athlétiques où la prouesse technique se fond dans les chamailleries, retrouvailles et étreintes de ce couple fantasque unis « pour le meilleur et pour le pire » – titre de leur spectacle –. L’art de la transformation est partout : le capot de la voiture devient le plongeoir depuis lequel la voltigeuse s’élance non dans la mer mais dans les bras de son compagnon qui la rattrape in extremis. Plus tard en tenue de mécano, elle part chercher sous la voiture le pot d’échappement qui devient la perche au sommet de laquelle elle exécute des figures aériennes… Et elle montera plus haut encore sur une échelle de corde dont elle se balancera avec grâce, échelle maintenue par la seule force herculéenne de son homme, à plat ventre au sommet du chapiteau. Comme dans tout exercice de voltige, la confiance faite au partenaire côtoie la crainte de la chute : magnifique métaphore amoureuse que ce numéro d’équilibristes… Entre la terre et les airs, on assiste, conquis, à l’imagination nourrie de poésie des deux artistes qui conjuguent le burlesque, l’émotion et la performance. Vertiges de l’amour !

Le cirque Aïtal se produit au parc de Bercy jusqu’au 5 août, dans le cadre du festival Paris quartier d’été.

vendredi 29 juin 2012

Savion Glover, THE tap dancer


Dommage qu’en français le terme « claquettes », rimant avec cacahuète, pichenette, poulette et autres diminutifs ne donne pas à deviner la grandeur de cet art de la percussion ! Pourtant un claquettiste est un instrumentiste, un musicien qui n’utilise que ses pieds chaussés de fer sur des surfaces aux sonorités et résonances diverses, tout le génie consistant à inventer, combiner et interpréter les rythmes. Savion Glover, virtuose ès claquettes qui se produit au théâtre de la Ville ces jours-ci, est l’héritier des maîtres afro-américains tels Jimmy Slide ou Gregory Hines. Loin des chorégraphies très dansées façon Broadway, ce style de claquettes est entièrement dédié au rythme, les déplacements sont limités, la percussion pure est au cœur du travail, rappelant les influences des danses tribales d’Afrique et plus récemment l’apport du hip-hop dans l’art de la tap dance.
Glover est un virtuose : à 4 ans il jouait de la batterie et à 10 ans il tenait le rôle titre dans le film Tap dance kid. Visage poupin surmonté de dreadlocks malgré ses presque 40 ans, pantalon de flanelle sur de longues jambes minces et élastiques, c’est le look décontracté de Glover. L’art est dans son écoute et sa perception incomparables du rythme et de la musique. Sur scène, un fond noir, de grands amplis montés sur pied, trois plaques de bois disposées en triangle, deux chaises qui attendent les musiciens qui l’accompagneront. Le spectacle démarre dans le noir, le roulement des fers de Glover nous parvenant de plus en plus distinctement, comme la mécanique régulière d’une locomotive. Avec l’apparente facilité qui fait la marque des grands danseurs, il apparaît enfin dans la lumière, prolongeant son éblouissant enchaînement a capella où la variété rythmique est servie par une exécution hors pair. Il clôt ce premier numéro en quittant nonchalamment l’estrade de bois comme s’il en tombait par hasard en perdant l’équilibre, juste le temps d’éponger son front ruisselant et de laisser s’installer les deux guitaristes. Il s’est en effet associé pour son nouveau spectacle à des musiciens flamenco. La parenté entre claquettes et flamenco ? La musique est dans les pieds, le rythme hyper expressif. Un dialogue sans répit s’installe alors entre sonorités andalouses et mécanique irréelle des pieds virevoltants du danseur.
Pas besoin d’être spécialiste des claquettes pour apprécier son inventivité rythmique : il donne à entendre tout ce qui se trouve entre les notes, entre les rythmes, l’infini des combinaisons qui deviennent mélodies… C’est le mélange du surdoué Glover qui jongle avec temps et contretemps en parfait métronome. Il est porté par une énergie de l’ordre de la transe – il dit d’ailleurs prier pendant qu’il danse, reconnaissant de vivre à fond son art – au milieu d’une cascade de rythmes.
Une parenthèse est offerte à son complice et partenaire Marshall Davis dans un jeu de question-réponse entre les deux danseurs où seul le battement de la pointe du pied, soit de l’un soit de l’autre, bat le rythme en permanence entre deux variations des plus spectaculaires sur le rythme de départ. La perfection…
Savion Glover est unique dans son art. S’il n’y a plus de place au théâtre pour cette tournée européenne, ruez-vous sur les vidéos d’autres de ses spectacles qui se trouvent sur le web, vous serez éblouis. 


vendredi 22 juin 2012

La vie de Lily, Véronique M. Le Normand


Du haut de mes 32 printemps, oui je suis encore très jeune me direz-vous, j’ai remarqué que je porte un regard de plus en plus ému sur l’enfance et l’adolescence. Preuve s’il en est que j’en suis sortie si je peux les appréhender avec distance, et que je suis devenue une adulte avec son lot de liberté et d’indépendance, certes, mais de soucis, de responsabilités, d’impôts… enfin, je ne vais pas lister dans le détail toutes les joies qui vont avec la vie d’adulte, tout le monde les connaît ! Mais je sens bien que la légèreté des tout petits m’a quittée – dommage, c’était bon – et que mes peines comme mes sources d’enthousiasme ne sont pas du même registre que celui des adolescents. Une chance, hein, j’ai grandi normalement semble-t-il. Pour exemples : les ados qui vannent leurs copines de classe dans le bus en rentrant du lycée alors que nous savons toutes décrypter aujourd’hui le timide qui se cache derrière des allures de cador, m’amusent et me donneraient presque la larme à l’œil quand je me souviens des grands questionnements qui m’animaient au même âge. Ou quand on ne me demande plus au bureau de vote « mademoiselle, seriez-vous disponible pour nous aider à dépouiller ce soir ? », il me semble incarner aux yeux de ces gentils bénévoles du dimanche une jeune mère de famille avec quantité de choses à faire le dimanche soir, cela va de soi… (Quoique, ils peuvent aussi imaginer que j’ai une vie trépidante et que je dois rentrer finir mon papier pour mon blog en fait, mais ça je ne le saurai jamais et je ne leur demanderai pas, trop peur qu’ils me posent la satanée question et que je me retrouve à répondre Non et à me justifier, c’est ça le meilleur, je me justifiais toujours dans ces cas-là !). Non, je n’ai plus 18 ans, c’est un fait. On m’appelle Madame et mes yeux sont cernés le matin…
Par ailleurs, autour de moi fleurissent les bébés des copains et je me projette sans doute de plus en plus vers le moment où à mon tour je serai maman, donc concernée par ces êtres en devenir. Dans le temps, je m’éloigne de plus en plus de mes jeunes années, donc je pourrais logiquement prendre du recul face à cette période qui n’est plus. Et bien c’est tout le contraire qui se passe ! C’est avec une nostalgie délicieuse que je me replonge dans l’enfance et l’adolescence. Les souvenirs affluent à l’occasion de petites scènes comme décrites plus haut, et la saveur aigre-douce de cet âge qu’on a pourtant hâte de quitter quand on est en plein dedans me touche. Sans doute parce que tout le temps qui passe ne se rattrape guère… Alors, quand j’ai entre les mains un roman comme « La vie de Lily », je savoure chaque page car toutes les émotions d’une jeune femme en devenir y sont racontées avec un charme fou. Allez, je parle enfin du livre qui m’amène.
            Lily Blachon, l’héroïne, n’aime pas son nom qu’elle trouve tarte et aurait préféré porter le nom de jeune fille de sa mère, Majorel, qu’elle trouve beaucoup plus sexy. Lily a 15 ans quand débute le roman. Elle en a 24 dans le dernier opus lorsqu’elle termine ses études. Ces dix années capitales dans son évolution ont été rédigées sur dix ans par l’auteur sous la forme de quatre courts romans à la première personne qu’elle rassemble ici : Les carnets de Lily B., La saison des chamailles, Le roman de Noémie, Les égarements de Lily. Lily a une sacrée personnalité. Elle tient des carnets où elle note les pensées que lui inspirent les épisodes de sa vie et dont une courte phrase ouvre les chapitres : « Mieux vaut être belle et rebelle que moche et re-moche », « Mentir, c’est voyager entre le passé et le futur sans passer par le présent »… Typiques d’une jeune fille qui a plaisir à jouer avec les mots et à s’en satisfaire mais qui s'approche de la vérité ! Lily cherche sa place, elle cherche à répondre aux questions existentielles qui nous animent dans ces âges clefs. Elle tâtonne, se renfrogne à l’égard de ses parents à 15 ans avant de les gratifier d’une certaine indulgence, elle découvre les secrets de famille qui la chamboulent pour ensuite apprécier leur enseignement, elle fuit les garçons avant d’avoir infiniment besoin d’eux quelques années plus tard, elle cherche sa voie professionnelle, elle découvre que les amitiés fusionnelles de lycée seront amenées à prendre une autre nature, que sa cicatrice de fer à repasser sur la tempe n’est pas une blessure qui la rend moche mais au contraire une trace de vie qui nourrit sa personnalité. Elle avance, elle est au désespoir, elle mûrit, elle vibre... L’auteur Véronique Le Normand a su trouver l’exact ton, et le charme, pour évoquer cette période charnière. Sautet dans son cinéma savait comme personne raconter les copains, les emmerdes et les amours d’adultes dans le Paris des bistrots enfumés des années 70 ; dans son roman, de sa plume simple et belle, Le Normand a cette même sensibilité pour cette fois traduire la saveur particulière des émotions adolescentes.
En guise d’apéritif et de conclusion, je vous propose donc un extrait d’un dialogue entre Lily et son meilleur copain Florian, complice de ces années-là.
Il sont en seconde et boivent un coup après les cours :
«    -     A quoi tu penses ?
-          Tu veux toujours devenir entomologiste ?
-     Non, je crois que je vais faire psychiatre. La sexualité des papillons, c’est trop compliqué.
Quand Florian sourit, tout son visage en profite. Ses yeux scintillent dans une mer de fossettes. Dès qu’il en aura fini avec ses problèmes d’acné, je suis sûre qu’il fera des ravages. En tout cas, j’ai souvent l’impression qu’il me demande à quoi je pense pour vérifier que je pense à ce qu’il pense.
-          Tu es sérieux ?
-          Autant que le bipède stationné près du billard qui n’arrête pas de te mater.
-          Lequel, le blond ?
-          Ne fais pas l’innocente !
J’ai visé et j’ai croisé un regard bleu flottant derrière une mèche rebelle. Physiquement, l’inconnu n’est pas du tout mon genre et il vient de prendre congé d’une créature de rêve qui prouve que je ne suis pas du tout son genre. »
(« La Vie de Lily », p.111, Editions Thierry Magnier)

jeudi 14 juin 2012

Sélection cannoise 3 : "NO", Pablo Larraín


Première tentation pour ouvrir cet article : s’exclamer Oui !! après la découverte du film de Pablo Larraín, galvanisant.
Au cœur de ce troisième long-métrage, un épisode clef de l’histoire chilienne : Pinochet, dictateur qu’il n’est plus besoin de présenter, a été contraint en 1988, sous la pression internationale, d’organiser un référendum pour légitimer sa présence au pouvoir. Durant 27 jours, le parti de Pinochet comme celui des opposants allaient disposer de 15 minutes quotidiennes à la télévision pour mener campagne. Nul doute que si le dictateur a accepté cet étrange contrat, c’est qu’il était très sûr de lui… C’était sans compter René Saavedra, jeune publicitaire bien branché sur son époque, auquel le directeur de campagne du Non a eu l’idée de faire appel. René Saavedra – au prénom moyennement sexy mais interprété par le très charmant Gael Garcia Bernal –  travaillera sur la campagne comme sur tout autre produit de consommation de masse. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un rendez-vous client de René avant que la campagne pour le référendum n’ait démarré ; il leur fait visionner le spot publicitaire pour une boisson au cola nommée Free. Au programme, des jeunes habillés selon cette mode qu’on aimait tant dans Fame avec justaucorps flashy, blousons à épaulettes et coupes de cheveux dignes des joueurs de tennis espagnols qui chantent, qui dansent, qui boivent à s’en faire péter la panse leur boisson préférée au son d’une chanson pop eighties. C’est la modernité, c’est la société chilienne du moment. René a la vista.
Exactement comme la pub pensée pour le cola chilien, René va appliquer les mêmes règles du « donner envie », peu importe qu’il s’agisse du futur accès à la démocratie après des années de dictature ou d’un soda. La scène où les membres du comité de campagne en faveur du Non reçoivent René pour la première fois est intéressante à cet égard ; le spot prévu, vieillot et triste, enfonce le clou là où les Chiliens ont mal, faisant défiler images en noir et blanc de torturés, chiffres effrayants sur le nombre d’exilés de force, etc. Et René de conclure très simplement que le spot n’est pas « vendeur ». Certes, toutes ces archives sont vraies et reflètent les années de dictature. Mais c’est de l’avenir ensoleillé promis par la démocratie qu’il faut parler aux Chiliens, pas du passé douloureux. Autant la campagne menée pour le Oui doit s’appuyer sur le bilan positif – truqué bien sûr – des années Pinochet. Autant les défenseurs du Non doivent laisser imaginer le Chili libre et joyeux de demain, faire rêver à ce nouveau Chili en se projetant dans un avenir débarrassé de Pinochet. Là est toute la stratégie que va mettre en place l’équipe menée par René, introduisant habilement une réflexion sur le marketing produit qui définira dès lors toute campagne de communication, surtout en politique, comme nos dernières élections présidentielles l’ont encore magnifiquement illustré....
Le film suit avec énergie la course effrénée de cette campagne, tant du côté des défenseurs du Non que des défenseurs du Oui. L’équipe de René rivalise d’idées originales pour évoquer la politique sans jamais la nommer, tournant quantités de fragments de spots, au son d’un slogan-gingle communicatif Chile , la alegría ya viene !. Ainsi dialogue dans un lit un couple de quinquas, le mari ne cesse de demander à sa femme de lui dire oui, elle refuse avec le sourire, il insiste et ainsi de suite, elle s’entête et reste sur sa position, c’est non. Enfin le mari se tourne vers la caméra et conclut, respectueux : « elle a dit non ! ». Gonflé et très drôle le spot en question… Et il y en a quantité de ce type, alternant avec séquences chantées dans les rues, appels à voter Non de stars américaines telle Jane Fonda, chorégraphies acidulées ou scènes plus graves qui rappellent par touches la difficulté économique d’une majorité de la population. On découvre avec amusement que les défenseurs de Pinochet, furieux du succès des spots ennemis, n’ont pas hésité à reprendre les idées pour leur faire dire le contraire, remettant en scène par exemple le couple de quinquas dans le lit conjugal avec pour final le « Oui ! » de l’épouse, etc. La compétition entre les deux camps est d’autant plus intéressante que le publicitaire appelé à la rescousse pour la campagne du Oui n’est autre que le boss de René à l’agence de pub. Le conflit donne lieu à quelques entrevues dignes des dialogues de mafieux où la pression est là, subtile mais bien là. On découvre les différentes combines et censures imposées par le camp du Oui au camp du Non qui ne s’avoue jamais vaincu. René, dont la conscience politique ne semble pas aussi aiguë que celle de son ex-femme, militante qui ne craint pas les bleus qu’elle récolte dans les manifs, réalise à mesure de la campagne la force de son message, qu’il contribue à la marche de son pays vers la démocratie, ce n’est pas rien en regard de la vente d’un soda ! L’éveil politique du personnage se fait tout en finesse au fil de l’histoire. Finesse que l’on retrouve dans le choix esthétique du réalisateur Pablo Larraín ; il a tourné avec une caméra des années 80, conférant à l’image une couleur et un grain grossier très spécifiques à l’époque qui permettent de mêler images d’archives et fiction avec homogénéité. Tout concourt à ce que le spectateur soit immergé, concerné par les faits. Le film de Larraín est un hymne à la démocratie, grave et drôle à la fois, assorti d’une réflexion très actuelle sur les outils employés en politique. A voir à l’automne prochain dans les salles, y viva Chile !

jeudi 7 juin 2012

Sélection cannoise 2 : " In another country ", Hong Sang-soo



Monsieur Hong Sang-soo serait un peu au cinéma coréen que ce Rohmer est – ou fut – au cinéma français. Un même goût pour le marivaudage, la légèreté, une poésie flottant dans l’air. Tantôt la ville tantôt la campagne inspirent des personnages en quête de sens dans leur vie sentimentale. Des dialogues moins littéraires chez le cinéaste asiatique que chez notre ami Rohmer, quoiqu’il soit difficile de juger du jeu des acteurs coréens … ! Ce dernier argument n’est d’ailleurs pas valable pour le dernier film d’Hong Sang-soo, In another country, et pour cause : Isabelle Huppert en est l’héroïne et on a beau la savoir très intelligente, non elle ne parle pas encore coréen. Elle n’aurait d’ailleurs pas eu le rôle dans ce cas puisque c’est son statut d’étrangère, aussi bien pour le cinéaste que pour les personnages qu’elle rencontrera dans la fiction, qui est exploité ici. Elle s’exprime donc en anglais.
 

Huppert est l’héroïne de trois courtes histoires qui se déroulent dans un même lieu, une campagne coréenne un peu paumée. Un hôtel modeste mais bien tenu bénéficie d’une vue sur la mer, un petit phare n’est pas très loin, accessible à pied. Le temps est incertain, le soleil fait de courtes apparitions, il fait bon… A l’origine de ces trois histoires, une jeune fille qui écrit un court-métrage et qui décide de faire de son héroïne une Française en vacances dans cette petite ville. Cette Française, réalisatrice de documentaires, sera dans la deuxième histoire la maîtresse d’un Coréen qu’elle vient rejoindre pour quelques heures alors que son mari est en déplacement ; et enfin une expatriée vivant à Séoul, quittée par son mari, qui vient chercher le calme au bord de la mer, accompagnée d’une amie. Dans chacune des histoires, Huppert se nomme Anne, elle est une étrangère, elle ne connaît pas le petit village et s’y rend pour la première fois. Dans chaque récit, elle fait la rencontre systématique de deux personnages à la fonction précise : la jeune tenancière de l’hôtel et le maître-nageur sauveteur de la plage. Ils existent dans leur fonction, sont les mêmes dans les trois chapitres. En revanche, deux hommes alternativement incarnent des personnages que l’on ne retrouve pas dans les mêmes rôles d’une histoire à l’autre ; Anne la réalisatrice est accompagnée d’un cinéaste local dont la jeune épouse est enceinte et jalouse de l’étrangère – elle a raison, son mari fait la cour à Anne dès qu’elle a le dos tourné. Dans la troisième histoire, cet homme interprète un autre personnage, voisin de chambre d’Anne, qui la courtise également mais d’une autre façon puisqu’il vient de la rencontrer. Quant à l’amant d’Anne dans la deuxième histoire, comme le moine auquel la femme quittée pose des questions insolentes, ils font, eux, une apparition unique.
Ainsi Anne, sous plusieurs identités, tisse des rapports chaque fois différents avec les personnes qui l’entourent dans cette parenthèse bucolique. Incarnant une femme distincte dans les trois récits, elle ne vit pas les mêmes choses avec les hommes qui croisent sa route : le maître-nageur pourra tout aussi bien prendre le visage de l’amant transi qui lui compose une chanson, que celui de l’homme qui retrouve son téléphone portable et lui indique la direction du phare, ou encore celui du petit ami de la gérante de l’hôtel qui n’ose pas faire le premier pas… La fantaisie de la construction de ces histoires, toutes en miroir les unes par rapport aux autres, est contenue dans l’exploration du langage. Ce principe permet d’illustrer la multitude de sens que les phrases peuvent revêtir selon le contexte dans lesquelles elles sont prononcées, auprès de qui, par quel type de personnage et dans quel état d’esprit... Les dialogues, à quelques variantes près pour servir l’intrigue, sont inchangés d’une histoire à l’autre mais ils ne veulent plus dire la même chose, et ne donnent par conséquent pas lieu aux mêmes rebondissements. Le jeu  narratif est très amusant, et il rend compte de l’aléa de la rencontre : selon le statut, la situation sentimentale et l’humeur d’Anne, à chaque personnage qu’elle incarne, la rencontre dans un même lieu avec une même personne peut mener à des situations radicalement différentes. Qui d’entre nous n’a pas déjà observé que ce qui vient d’arriver n’aurait pu se produire si tel ou tel détail de notre discours ou de notre biographie n’avait inversé le cours des choses ? Hong Sang-soo s’en amuse, avec la profondeur cependant qu’on lui connaît. Le charme de son film tient à la fraîcheur des situations conjuguée à sa réflexion sur l’interaction entre les êtres qui nous conduit sans cesse à vivre une situation plutôt qu’une autre. Pas d’effet de scénettes additionnées dans son film, mais au contraire une unité faite de trois variations sur un même thème voire un même « t’aime ». Comme Anne dans la deuxième histoire, maîtresse contrariée par le retard de son amant qui se surprend à rêver pendant la sieste des retrouvailles qu’elle espérait, nous sommes invités à interpréter ces variations de plusieurs façons : Anne est-elle en effet une seule et même femme qui, selon, n’est pas ouverte de la même manière à l’aventure de la rencontre, à la nouveauté ? Est-elle la principale actrice des événements ou se laisse-t-elle guider avec plus ou moins de docilité par les personnes qui jalonnent son chemin ? Belle proposition du cinéaste quant à l’éternel libre arbitre dont nous disposons face au hasard ou destin qui décide des événements autant que nous.
Chaque scène, dans les trois récits, fait l’objet d’un long plan unique comme les affectionne le cinéaste, nous faisant retrouver un même décor dans un cadrage qui peut varier. Les amateurs d’analyse filmique apprécieront cet écho original au jeu des sept erreurs, ici purement cinématographique ! Par ailleurs, on découvre une Isabelle Huppert étrangère en son royaume, plus touchante qu’à son habitude, comme si le contrôle de soi de l’actrice française cédait enfin sous la direction du Coréen à qui elle n’a pu faire qu’une confiance totale... Au vu de la qualité du film, elle a eu raison.


mercredi 30 mai 2012

Sélection cannoise 1 : "Like someone in love", Abbas Kiarostami



Maintenant que le festival de Cannes est terminé, que c’en est fini du plateau du Grand Journal où les stars avaient à peine le temps de répondre aux questions idiotes d’Ariane Massenet, les critiques vont bon train sur la piètre qualité de la sélection, la partialité du président Moretti, l’injustice insupportable qui n’a pas primé le nouveau Leos Carax, et patati et patata… il est donc temps de parler des grands films qui oui, se logeaient plus ou moins discrètement dans les différentes sélections de cette année. J’aime bien jouer la VIP… hé hé, et il suffit pour cela de dégoter - avec un peu d’aide, il se reconnaîtra - les salles parisiennes qui proposent en avant-première les films cannois dans les sélections Officielle, Un certain regard et La Quinzaine des réalisateurs. J’ai pu découvrir ainsi le dernier film de l’Iranien Abbas Kiarostami, intitulé Like someone in love.

Rin Takanashi dans Like someone in love
Une entrée en matière aussi déroutante que brillante : nous sommes dans un bar de Tokyo. Plusieurs clients, hommes et femmes attablés, sont dans le champ de la caméra. Au premier plan, un bout de table sur laquelle un verre à moitié plein laisse penser que quelqu’un se trouvait plus tôt assis sur la chaise qui nous fait face, à présent vide. Le plan est fixe mais la mobilité des personnages dans le cadre anime l’image. Une voix féminine, claire, se détache du brouhaha et semble se défendre face à un petit ami jaloux qui lui demande où elle se trouve. Bonne question en effet, le spectateur s’interroge aussi : où se trouve-t-elle, cette femme qui parle ? On cherche des yeux la bouche dont sortiraient ces mots, on ne la trouve pas… Le petit ami, que l’on n’entend pas, doit insister puisqu’elle se répète, précise qu’elle est bien dans le bar Y avec une amie ; elle lui demande de ne pas recommencer avec ses questions suspicieuses… Enfin, une jeune Japonaise aux cheveux rouges située droite cadre et qui était jusqu’ici de profil face à un interlocuteur qui lui est hors champ, nous met sur la voie. Elle tourne régulièrement la tête vers la caméra, semble s’impatienter. La voix féminine off continue. Ce n’est pas celle de la jeune femme aux cheveux rouges qui finit par se lever et s’installer de l’autre côté de la table sur la chaise vide. Elle interroge du regard la personne située en face d’elle que nous ne voyons pas puisqu’elle est à la place de la caméra. La voix off se précise, proposant au petit ami de parler à sa copine. Entre dans le champ une main qui tend le téléphone à la jeune femme aux cheveux rouges. Nous venons ainsi d’identifier une conversation téléphonique, raison pour laquelle nous n’entendions pas les propos du petit ami. A peine avons-nous compris que le premier contre-champ du film confirme : une jeune femme au profil plus sage, Akiko, est en effet assise de l’autre côté de la table. Contrariée, elle invite son amie à prendre l’appareil et à confirmer au petit copain possessif qu’elle dit la vérité : oui, elles sont ensemble au bar Y.
Si je prends le temps de détailler ce premier plan, c’est parce qu’il illustre à lui seul la maîtrise et la finesse d’écriture de Kiarostami. Il conjugue une apparente simplicité formelle avec une grande richesse narrative. Si Akiko tarde à apparaître à l’écran c’est qu’une part de mystère l’entoure, la suite du film confirmera cette nature secrète. Si elle cherche tant à convaincre son petit ami du lieu où elle se trouve, c’est parce que bien sûr elle n’est pas là où elle lui dit être, elle lui cache l’essentiel de son emploi du temps. Nous apprendrons à mesure de l’intrigue pourquoi.  La jalousie du fiancé est donc fondée et distribuera en partie les cartes dans les événements à venir. D’emblée donc, avec cette première scène, le cinéaste nous prend de cours. Il nous plonge dans une histoire qui a démarré avant qu’il ne place sa caméra, avant que le film ne commence. Bien souvent, un film fait démarrer une intrigue sous nos yeux. Idem pour le dénouement, comme si la vie des personnages, pour ce qu’elle offre d’intéressant sur un épisode donné, trouvait une conclusion à la fin du film. On sort alors satisfait, c’est clos. Kiarostami, lui, préfère adopter un autre procédé : il part du principe que l’histoire a commencé hors caméra, ce en quoi il a raison. Elle continuera sans nous également, comme l’illustrera la fin de son film. Entre les deux, un espace temps mesuré où les personnages vivent un moment que nous sommes invités à partager. Kiarostami joue avec les conventions habituelles du rythme qui imposent d’éviter les temps morts, d’être efficace, de pratiquer l’ellipse, etc. Il traite le temps et de ce fait, les rapports qui se tissent entre les personnages dans ce temps, comme nous pourrions l’expérimenter dans la réalité ; il laisse s’installer les scènes, donnant au temps le pouvoir de créer du lien entre les êtres, de les interroger sur l’autre, de ressentir un climat, d’être intrigué par une situation et d’y réagir…. Les personnages ne cessent de composer avec les imprévus, avec les répliques qui leur sont adressées. Ce rythme donne une impression de réalité très forte. C’est une vision singulière de l’écriture cinématographique. Nous assistons, éblouis, à un temps qui raconte l’humain, qui donne aux scènes une puissance d’émotion toute particulière. La beauté formelle des plans séquence vient servir la complexité des rapports entre les personnages. La forme sert le fond avec subtilité. Tout est absolument japonais dans le film, à commencer par les acteurs, les codes culturels, la ville. Tout est absolument universel dans ce qui est dit des sentiments humains.
Je vous laisse le plaisir de découvrir l’intrigue puisque j’ai largement défloré la scène d’ouverture ! Entre 22h à la sortie du bar où se trouvait Akiko et le lendemain midi, une histoire oscillant entre fantaisie et gravité illustrera comment chacun des personnages, à sa façon, se comporte like someone in love. Y compris un vieux professeur distingué de 82 ans.

vendredi 18 mai 2012

"A l’aventure" de J-C Brisseau : érotico, mystico, intello


Parfois, un film qui s’annonçait sérieux déclenche un rire auquel on ne s’attendait pas du tout… Loin d’être une connaisseuse de l’œuvre de Jean-Claude Brisseau, je le savais considéré comme un auteur qui avait signé des films intéressants comme De bruit et de fureur. J’avais pour ma part le souvenir de Noce Blanche, qui racontait avec une belle gravité les amours interdites entre un prof de lycée et une élève pas si candide… La jeune fille que j’étais moi-même à l’époque avait été un brin bousculée par l’histoire surtout que le prof était interprété par Bruno Kremer, déjà bedonnant et le visage marqué de verrues pois chiches, ce qui rendait les étreintes entre les deux personnages encore moins sexy… Bref. Esthétisme mis à part, le film était un drame bien mené, juste, bien interprété. Un bon film.
En découvrant A l’aventure, sorti en 2010, je m’attendais à un film sans doute grave lui aussi, et peut-être axé cette fois sur un autre sujet que les fantasmes sexuels de son réalisateur. C’était méconnaître un M. Brisseau vieillissant… La première scène de A l’aventure donne le ton, très « sitcom » : sur un banc de square, 2 copines mangent leur sandwich. La première est grave, songeuse, comme déconnectée des bavardages de la seconde qui lui reproche d’être « hyper chiante en ce moment ». Intervient soudain un faux sage de la soixantaine, chauffeur de taxi de son état, qui se met à philosopher sur le fait que les pub pour la lingerie fine tâchent de rendre sexy les pièces de tissus qui ne sont là que pour cacher nos 2 trous dégoûtants… Drôle de marche que celle du monde qui vend du mensonge à tour de bras, n’est-ce pas ? La jeune fille grave écoute, très concentrée, les propos du vieux réac, tandis que la bavarde s’agace des portes ouvertes enfoncées par ce « clodo ».  Elle finit par se lever pour retourner travailler tandis que sa copine reste sur le banc et médite sur les codes qu’on nous impose, la liberté avec laquelle nous devrions vivre, etc. Le soir même, elle fait l’amour avec son compagnon sans plaisir, il se lève un peu plus tard dans la nuit et la découvre dans le salon en train de se caresser avec provocation. Elle lui confirme qu’elle est insatisfaite, qu’elle se caresse ainsi tous les jours puisque qu’il ne lui fait plus rien. Pas content le petit copain, il sort et la traite de pute.
Nous allons alors suivre la grande aventure sexuelle – celle du titre du film –, que décide de vivre la jeune femme. Elle plaque son homme, son boulot et décide de goûter à tous les plaisirs qu’elle s’interdisait jusque là. Imaginez, c’est important, des personnages aux allures de minets et minettes bien élevés, ayant fait des études et tout, récitant des répliques très écrites avec aussi peu de naturel que des apprentis comédiens qui se seraient leurrés sur leur vocation. Ces dialogues très explicatifs sont l’occasion pour Brisseau de livrer une certaine culture livresque tout comme des conclusions riches de poncifs sur la vie du type « une fois qu’un couple vit ensemble, la routine s’installe et menace le désir ». Ah ça, on apprend beaucoup de choses qu’on n’avait jamais entendues nulle part ! Imaginez maintenant ce genre de répliques, nourries de réflexions existentielles poussées, qui coexistent avec des scènes porno soft qui visitent triolisme et sado-masochisme, le tout saupoudré d’un peu de mysticisme puisque c’est sous hypnose que la belle trouvera le plaisir extrême. Un peu comme si Hélène et ses garçons avaient débarqué sur la planète Sexe sans complexe. Et bien le tout forme un mélange grotesque. On rit beaucoup et je ne crois pas que ce soit le projet de Brisseau. Si j’ai décidé de parler de ce film ici, c’est parce que son ridicule provient du sérieux avec lequel il ne traite que de clichés. Quitte à faire de l’héroïne une jeunette en quête d’expériences sexuelles, alors autant assumer sa naïveté et instaurer un point de vue qui s’amuse de la situation. Sade le faisait très bien dans ses livres… Ou faire un vrai film érotique qui ne s’encombre pas d’un scénario et enchaîne les scènes hot. C’est intéressant parfois de voir des films ratés car ils permettent d’apprécier mieux encore ceux qui sont réussis ! A voir à l’occasion, donc, rien que pour le plaisir de découvrir comment, en se prenant très au sérieux, un film peut malgré lui être très drôle. Même si c’est triste pour son auteur qu’on a connu plus talentueux.

mercredi 9 mai 2012

"Breaking Bad", fin de saison 4 : comment la fin justifie les moyens


Je vous livre ici un texte assez pointu, donc peut-être adressé en priorité aux amateurs du genre, que je me suis fait le plaisir d’écrire sur l’une des séries qui m’a le plus marquée ces derniers temps, Breaking Bad. Ce qui me titillait, c'était d'essayer de mettre au clair la construction, oh combien complexe et brillante, d'une fin de saison qui m'a laissée coite. Enfin... pas pour longtemps vu la longueur du texte qui suit.
Attention, il vaut mieux être à jour sur la série pour lire cet article puisqu’il concerne la fin de la saison 4, dernière saison diffusée à ce jour…

  
Le désert, un soleil brûlant, un décor grandiose pour une confrontation tant attendue : celle de Walter White et Gustavo Fring. La saison 4 porte en elle plus intensément que jamais le duel à mort entre les deux hommes, duel qui n’existait que par le biais d’intermédiaires jusqu’à ce face-à-face de l’épisode 11. Deux hommes et des rapports de force tissés au fil des épisodes qui donnent Gus gagnant. White, condamné à mort, à genoux les mains dans le dos, n’a semble-t-il plus aucun moyen d’inverser la tendance. Gus, imperturbable et menaçant semble invincible comme à son habitude, et en effet sa menace sur tout le clan White est terrible. Et pourtant, White plie mais ne rompt pas. Et frappe une dernière fois en rappelant à Gus que Jesse l’empêche de le supprimer : illustration de sa détermination, son acharnement à se défendre. La nature de White s’exprime ici une fois encore et annonce le génie de sa stratégie finale. Une constante dans ce personnage : on le croit perdu, il s’en sort toujours, le suspense consistant à nous faire découvrir comment.
Le dénouement du dernier épisode de la saison libère White de la domination de Gus. Pour cela, il franchit un nouveau cap dans la violence. La noirceur de son personnage est encore plus nette. Son acte est sans nul doute désespéré, tant la menace qui pèse sur lui, Jesse et ses proches est grave, n’empêche, White instrumentalise un enfant, un être plus faible qui n’a rien à voir avec la guerre qui sévit entre lui et Gus. La morale est-elle sauve ? Vaste question avec laquelle ne cesse de nous tourmenter le créateur Vince Gilligan.

Quatre saisons ont illustré combien une fois le petit doigt mis dans l’engrenage, la violence ne pouvait que monter en puissance, et un premier crime en entraîner quantité d’autres. White, une fois entré dans la cour des grands trafiquants, est forcé d’utiliser les mêmes armes qu’eux. Il tue plus méchant, plus cruel, plus dangereux que lui. Ses actes sont motivés par la nécessité de survivre et de protéger les siens. De nombreuses données d’ordre psychologique nourrissent les motivations du personnage au fil des épisodes. Notre empathie pour lui fonctionne grâce à cette ambiguïté car nous avons en mémoire son passé. Le chimiste intègre et juste, attaché aux valeurs de la famille, a basculé progressivement dans le crime. White est un homme pris dans la tourmente et certaines de ses motivations très humaines, voire sentimentales, viennent interférer dans la guerre qu’il mène contre Gus. Pour exemple, les rapports que White entretient avec Jesse Pinkman vont bien au-delà d’une simple relation d’équipe et le poussent à agir de façon semi intéressée et passionnée. Rappelons-nous que White a laissé mourir d’overdose la compagne de Jesse en fin de saison 2, elle menaçait de faire plonger Jesse mais aussi de le séparer de White. Une affection d’ordre filial se lit en filigrane. Le lapsus de White qui appellera le lendemain de leur « rupture » son propre fils « Jesse » illustre que ces sentiments le fragilisent. Tout n’est pas rationnel, White ne contrôle pas tout.
Une fois encore le souci de Jesse, en plus de la protection des siens, va pousser White au pire. L’empoisonnement qu’orchestre White est immoral. Cette stratégie digne d’un grand cerveau - c’est la spécificité de White, même dans les situations les plus menaçantes, il trouve l’idée qui le sortira de l’impasse - répond aussi à un désespoir réel. Une fois révélé le plan que White avait en tête avec le muguet, plusieurs imprécisions demeurent : comment White pouvait-il être sûr que Jesse se retournerait contre lui en apprenant l’hospitalisation de l’enfant, à moins de retirer la cigarette de ricin de son paquet ? Comment a-t-il pu procéder ? S’il était sûr de maîtriser les événements, pourquoi est-il si effrayé, barricadé chez lui, lorsqu’on frappe à sa porte ? Preuves que la science de White n’est pas exacte, une forme de pari définit son projet. Nous pouvons imaginer que sa relation à Jesse l’incite à agir pour protéger ce dernier de Gus, quoiqu’il advienne par la suite, qu’il gagne ou qu’il meure. Ah… ce White nous divise… car machiavélique mais pas seulement, il est un héritier de la tragédie antique, suscitant en nous crainte et pitié. D’autant que Gilligan prend la peine de le fragiliser à l’extrême dans la saison 4. Isolé, séparé de Jesse que Gus a monté contre lui, White apparaît comme anéanti.

Dans ce désert, debout et dominant de sa stature White agenouillé, Gus nous est montré comme un homme machine, une sorte de Terminator prêt à tout pour protéger son statut et ses intérêts. Dans l’épisode 9, il va à la rencontre des balles de la mitraillette qui l’attaque en marchant avec un calme résolu. Idem dans l’incroyable séquence de sa mort : une fois la déflagration survenue, Gus sort de la chambre, droit comme un I. Filmé de profil, il semble vivant. Le plan suivant dévoilera avec un certain humour que son crâne est défoncé et béant de l’autre côté du visage, et il s’effondrera enfin.
Jusqu’en saison 4, aucune donnée sur son passé ou sa vie privée n’était donnée : méticuleux et tiré à quatre épingles même lorsqu’il tue - prenant la peine de se vêtir d’une combinaison de chimiste avant d’égorger son homme de main - froid et calculateur, il ne présente aucune humanité. Un gangster dur de dur qui ne fait pas de sentiments. Là où Gilligan fait un choix des plus intéressants, c’est lorsqu’il nous livre l’histoire de Gus, en saison 4 et pas avant, par le biais d’un flash-back qui éclaire le personnage et nuance notre point de vue.
Avant de devenir à son tour un magna de la drogue, Gus a été dominé, humilié par le cartel mexicain. Lui aussi travaillait en binôme. Son partenaire est assassiné sous ses yeux par le patron du cartel. Hector Salamanca est présent. Depuis lors, Gus n’œuvre que pour prendre sa revanche sur ce cartel et ne fait plus cas d’aucune vie. Son code d’honneur et son obsession de vengeance le mènent en effet plusieurs années plus tard à empoisonner un à un les membres de ce cartel. La victoire est telle qu’il prend un malin plaisir à aller trouver Hector, devenu muet et invalide. La punition du vieil homme sera de savoir que tout son clan a été décimé, d’avoir mal. Gus ne laisse la vie sauve à Hector que parce que celui-ci connaît déjà l’enfer de la vieillesse dégradante qui le rend impuissant. Ce sera la seule erreur de calcul de Gus, la sonnette fatale du vieux déclenchant la bombe qui lui explosera en plein visage.
Ainsi donc Gus n’a pas toujours été la machine à tuer qui nous a été présentée. Le binôme qu’il formait à ses débuts avec un jeune chimiste éclaire d’un sens nouveau son entêtement à vouloir séparer White de Jesse. Les événements l’ont amené à devenir toujours plus cruel pour garder le dessus. Il nous était jusqu’ici difficile d’entrevoir une quelconque similitude entre White et Gus, nous penchions naturellement en faveur de White. Un curieux parallèle se forme alors dans nos têtes : dans quelle mesure White n’est-il pas devenu un Gus en puissance ? Qu’est-ce ce qui les distingue encore dans leur immoralité, leur violence?
Nourris de ces informations qui troublent notre jugement sur White, Gilligan va brouiller les pistes plus encore : un certain génie est attribué aux personnages, il est présent aussi dans la narration. Nous assistions à l’anéantissement de White, il gagnera la partie dans un dernier sursaut malgré la manipulation dont on le pense victime. Seule la brutalité du twist final nous révèle combien White manipule Jesse, et elle repose sur une seule image. Elle tient à une mécanique narrative savamment orchestrée par Gilligan.

Au début de l’épisode 12, une séquence est essentielle, mais on ne la perçoit pas comme telle sur l’instant.
White est seul sur la terrasse de sa maison. Son visage tuméfié illustre son état psychologique : anéanti, il semble attendre l’heure fatale. Il compte une dernière fois sur le hasard d’un revolver qu’il fait tourner sur la table comme si ce hasard suffirait à désigner le vainqueur. Par deux fois, le revolver tourne sur lui-même et finit par pointer Walter. Nous sommes en plan large fixe, Walter est droite cadre. Le montage nous fait passer de ce plan large au plan serré sur le visage de Walter. Ultime tentative de White filmée en plan large, le flingue désigne quelque chose dans la profondeur ; un léger travelling vers la gauche dévoile un pot de muguet sur lequel Walter fixe son attention. Nous haussons les épaules : et après ? Walter est foutu.
A partir de cet instant, la narration nous détourne de White et du déroulement de sa journée, à dessein. Ainsi, lorsque le soir, Jesse fou de rage vient l’accuser de l’empoisonnement de l’enfant, nous retrouvons White barricadé chez lui et imaginons que c’est ainsi qu’il a passé sa journée. La fin du dernier épisode vient tout remettre en question : l’enfant n’a pas été empoisonné par du ricin mais par une plante répandue et toxique, le muguet. L’épisode se clôt sur la terrasse de White, le calme étant enfin revenu, et le mouvement de caméra nous fait approcher de l’objet qui remet tout en question : le pot de muguet, celui-là même que le revolver de Walter avait pointé au début de l’épisode 12 ! Walter a donc manipulé Jesse. Mais le résultat est concluant : ils sont saufs, l’enfant finalement tiré d’affaire, et Gus mort. A rebours, nous ne pouvons alors que saluer la manipulation narrative qu’a exercée Vince Gilligan sur les spectateurs. Jusqu’au dernier moment, il nous aura fait compatir et trembler pour White. J’ai visionné plusieurs fois la séquence décisive de l’épisode 12 où Jesse vient accuser White de l’empoisonnement. Walter joue le désespoir puis la lucidité sur la supposée stratégie de Gus avec une telle sincérité... Gilligan manie l’art des détails qui ont le pouvoir de tout faire basculer dans l’intrigue, et aussi dans notre réception des informations. Les armes sont cachées dans des objets en apparence inoffensifs : le pot de muguet se révèlera l’arme fatale, la cigarette de ricin l’élément qui fera rebasculer Jesse en faveur de White, et la sonnette d’Hector le détonateur de la bombe qui explosera à la figure de Gus… L’écriture est tout aussi truffée de pièges et… on en redemande en saison 5.