Du haut de mes
32 printemps, oui je suis encore très jeune me direz-vous, j’ai remarqué que je
porte un regard de plus en plus ému sur l’enfance et l’adolescence. Preuve s’il
en est que j’en suis sortie si je peux les appréhender avec distance, et que je
suis devenue une adulte avec son lot de liberté et d’indépendance, certes, mais
de soucis, de responsabilités, d’impôts… enfin, je ne vais pas lister dans le
détail toutes les joies qui vont avec la vie d’adulte, tout le monde les
connaît ! Mais je sens bien que la légèreté des tout petits m’a quittée –
dommage, c’était bon – et que mes peines comme mes sources d’enthousiasme ne
sont pas du même registre que celui des adolescents. Une chance, hein, j’ai
grandi normalement semble-t-il. Pour exemples : les ados qui vannent leurs
copines de classe dans le bus en rentrant du lycée alors que nous savons toutes
décrypter aujourd’hui le timide qui se cache derrière des allures de cador,
m’amusent et me donneraient presque la larme à l’œil quand je me souviens des
grands questionnements qui m’animaient au même âge. Ou quand on ne me demande
plus au bureau de vote « mademoiselle, seriez-vous disponible pour nous
aider à dépouiller ce soir ? », il me semble incarner aux yeux de ces
gentils bénévoles du dimanche une jeune mère de famille avec quantité de choses
à faire le dimanche soir, cela va de soi… (Quoique, ils peuvent aussi imaginer
que j’ai une vie trépidante et que je dois rentrer finir mon papier pour mon
blog en fait, mais ça je ne le saurai jamais et je ne leur demanderai pas, trop
peur qu’ils me posent la satanée question et que je me retrouve à répondre Non et à me justifier, c’est ça le
meilleur, je me justifiais toujours dans ces cas-là !). Non, je n’ai plus
18 ans, c’est un fait. On m’appelle Madame et mes yeux sont cernés le matin…
Par ailleurs,
autour de moi fleurissent les bébés des copains et je me projette sans doute de
plus en plus vers le moment où à mon tour je serai maman, donc concernée par
ces êtres en devenir. Dans le temps, je m’éloigne de plus en plus de mes jeunes
années, donc je pourrais logiquement prendre du recul face à cette période qui
n’est plus. Et bien c’est tout le contraire qui se passe ! C’est avec une
nostalgie délicieuse que je me replonge dans l’enfance et l’adolescence. Les
souvenirs affluent à l’occasion de petites scènes comme décrites plus haut, et
la saveur aigre-douce de cet âge qu’on a pourtant hâte de quitter quand on est en
plein dedans me touche. Sans doute parce que tout le temps qui passe ne se rattrape guère… Alors, quand j’ai
entre les mains un roman comme « La vie
de Lily », je savoure chaque page car toutes les émotions d’une jeune
femme en devenir y sont racontées avec un charme fou. Allez, je parle enfin du
livre qui m’amène.
Lily
Blachon, l’héroïne, n’aime pas son nom qu’elle trouve tarte et aurait préféré
porter le nom de jeune fille de sa mère, Majorel, qu’elle trouve beaucoup plus
sexy. Lily a 15 ans quand débute le roman. Elle en a 24 dans le dernier opus
lorsqu’elle termine ses études. Ces dix années capitales dans son évolution ont
été rédigées sur dix ans par l’auteur sous la forme de quatre courts romans à
la première personne qu’elle rassemble ici : Les carnets de Lily B., La
saison des chamailles, Le roman de
Noémie, Les égarements de Lily.
Lily a une sacrée personnalité. Elle tient des carnets où elle note les pensées
que lui inspirent les épisodes de sa vie et dont une courte phrase ouvre les
chapitres : « Mieux vaut être belle et rebelle que moche et
re-moche », « Mentir, c’est voyager entre le passé et le futur sans
passer par le présent »… Typiques d’une jeune fille qui a plaisir à jouer
avec les mots et à s’en satisfaire mais qui s'approche de la vérité ! Lily
cherche sa place, elle cherche à répondre aux questions existentielles qui nous
animent dans ces âges clefs. Elle tâtonne, se renfrogne à l’égard de ses
parents à 15 ans avant de les gratifier d’une certaine indulgence, elle
découvre les secrets de famille qui la chamboulent pour ensuite apprécier leur
enseignement, elle fuit les garçons avant d’avoir infiniment besoin d’eux
quelques années plus tard, elle cherche sa voie professionnelle, elle découvre
que les amitiés fusionnelles de lycée seront amenées à prendre une autre
nature, que sa cicatrice de fer à repasser sur la tempe n’est pas une blessure
qui la rend moche mais au contraire une trace de vie qui nourrit sa
personnalité. Elle avance, elle est au désespoir, elle mûrit, elle vibre... L’auteur
Véronique Le Normand a su trouver l’exact ton, et le charme, pour évoquer cette
période charnière. Sautet dans son cinéma savait comme personne raconter les
copains, les emmerdes et les amours d’adultes dans le Paris des bistrots
enfumés des années 70 ; dans son roman, de sa plume simple et belle, Le
Normand a cette même sensibilité pour cette fois traduire la saveur particulière
des émotions adolescentes.
En guise
d’apéritif et de conclusion, je vous propose donc un extrait d’un dialogue
entre Lily et son meilleur copain Florian, complice de ces années-là.
Il sont en seconde et boivent un
coup après les cours :
« - A quoi tu penses ?
-
Tu veux toujours
devenir entomologiste ?
- Non, je crois que
je vais faire psychiatre. La sexualité des papillons, c’est trop compliqué.
Quand Florian sourit, tout son visage en profite. Ses yeux scintillent
dans une mer de fossettes. Dès qu’il en aura fini avec ses problèmes d’acné, je
suis sûre qu’il fera des ravages. En tout cas, j’ai souvent l’impression qu’il
me demande à quoi je pense pour vérifier que je pense à ce qu’il pense.
-
Tu es
sérieux ?
-
Autant que le
bipède stationné près du billard qui n’arrête pas de te mater.
-
Lequel, le
blond ?
-
Ne fais pas
l’innocente !
J’ai visé et j’ai croisé un regard bleu flottant derrière une mèche
rebelle. Physiquement, l’inconnu n’est pas du tout mon genre et il vient de
prendre congé d’une créature de rêve qui prouve que je ne suis pas du tout son
genre. »
(« La Vie de Lily », p.111,
Editions Thierry Magnier)
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