vendredi 22 juin 2012

La vie de Lily, Véronique M. Le Normand


Du haut de mes 32 printemps, oui je suis encore très jeune me direz-vous, j’ai remarqué que je porte un regard de plus en plus ému sur l’enfance et l’adolescence. Preuve s’il en est que j’en suis sortie si je peux les appréhender avec distance, et que je suis devenue une adulte avec son lot de liberté et d’indépendance, certes, mais de soucis, de responsabilités, d’impôts… enfin, je ne vais pas lister dans le détail toutes les joies qui vont avec la vie d’adulte, tout le monde les connaît ! Mais je sens bien que la légèreté des tout petits m’a quittée – dommage, c’était bon – et que mes peines comme mes sources d’enthousiasme ne sont pas du même registre que celui des adolescents. Une chance, hein, j’ai grandi normalement semble-t-il. Pour exemples : les ados qui vannent leurs copines de classe dans le bus en rentrant du lycée alors que nous savons toutes décrypter aujourd’hui le timide qui se cache derrière des allures de cador, m’amusent et me donneraient presque la larme à l’œil quand je me souviens des grands questionnements qui m’animaient au même âge. Ou quand on ne me demande plus au bureau de vote « mademoiselle, seriez-vous disponible pour nous aider à dépouiller ce soir ? », il me semble incarner aux yeux de ces gentils bénévoles du dimanche une jeune mère de famille avec quantité de choses à faire le dimanche soir, cela va de soi… (Quoique, ils peuvent aussi imaginer que j’ai une vie trépidante et que je dois rentrer finir mon papier pour mon blog en fait, mais ça je ne le saurai jamais et je ne leur demanderai pas, trop peur qu’ils me posent la satanée question et que je me retrouve à répondre Non et à me justifier, c’est ça le meilleur, je me justifiais toujours dans ces cas-là !). Non, je n’ai plus 18 ans, c’est un fait. On m’appelle Madame et mes yeux sont cernés le matin…
Par ailleurs, autour de moi fleurissent les bébés des copains et je me projette sans doute de plus en plus vers le moment où à mon tour je serai maman, donc concernée par ces êtres en devenir. Dans le temps, je m’éloigne de plus en plus de mes jeunes années, donc je pourrais logiquement prendre du recul face à cette période qui n’est plus. Et bien c’est tout le contraire qui se passe ! C’est avec une nostalgie délicieuse que je me replonge dans l’enfance et l’adolescence. Les souvenirs affluent à l’occasion de petites scènes comme décrites plus haut, et la saveur aigre-douce de cet âge qu’on a pourtant hâte de quitter quand on est en plein dedans me touche. Sans doute parce que tout le temps qui passe ne se rattrape guère… Alors, quand j’ai entre les mains un roman comme « La vie de Lily », je savoure chaque page car toutes les émotions d’une jeune femme en devenir y sont racontées avec un charme fou. Allez, je parle enfin du livre qui m’amène.
            Lily Blachon, l’héroïne, n’aime pas son nom qu’elle trouve tarte et aurait préféré porter le nom de jeune fille de sa mère, Majorel, qu’elle trouve beaucoup plus sexy. Lily a 15 ans quand débute le roman. Elle en a 24 dans le dernier opus lorsqu’elle termine ses études. Ces dix années capitales dans son évolution ont été rédigées sur dix ans par l’auteur sous la forme de quatre courts romans à la première personne qu’elle rassemble ici : Les carnets de Lily B., La saison des chamailles, Le roman de Noémie, Les égarements de Lily. Lily a une sacrée personnalité. Elle tient des carnets où elle note les pensées que lui inspirent les épisodes de sa vie et dont une courte phrase ouvre les chapitres : « Mieux vaut être belle et rebelle que moche et re-moche », « Mentir, c’est voyager entre le passé et le futur sans passer par le présent »… Typiques d’une jeune fille qui a plaisir à jouer avec les mots et à s’en satisfaire mais qui s'approche de la vérité ! Lily cherche sa place, elle cherche à répondre aux questions existentielles qui nous animent dans ces âges clefs. Elle tâtonne, se renfrogne à l’égard de ses parents à 15 ans avant de les gratifier d’une certaine indulgence, elle découvre les secrets de famille qui la chamboulent pour ensuite apprécier leur enseignement, elle fuit les garçons avant d’avoir infiniment besoin d’eux quelques années plus tard, elle cherche sa voie professionnelle, elle découvre que les amitiés fusionnelles de lycée seront amenées à prendre une autre nature, que sa cicatrice de fer à repasser sur la tempe n’est pas une blessure qui la rend moche mais au contraire une trace de vie qui nourrit sa personnalité. Elle avance, elle est au désespoir, elle mûrit, elle vibre... L’auteur Véronique Le Normand a su trouver l’exact ton, et le charme, pour évoquer cette période charnière. Sautet dans son cinéma savait comme personne raconter les copains, les emmerdes et les amours d’adultes dans le Paris des bistrots enfumés des années 70 ; dans son roman, de sa plume simple et belle, Le Normand a cette même sensibilité pour cette fois traduire la saveur particulière des émotions adolescentes.
En guise d’apéritif et de conclusion, je vous propose donc un extrait d’un dialogue entre Lily et son meilleur copain Florian, complice de ces années-là.
Il sont en seconde et boivent un coup après les cours :
«    -     A quoi tu penses ?
-          Tu veux toujours devenir entomologiste ?
-     Non, je crois que je vais faire psychiatre. La sexualité des papillons, c’est trop compliqué.
Quand Florian sourit, tout son visage en profite. Ses yeux scintillent dans une mer de fossettes. Dès qu’il en aura fini avec ses problèmes d’acné, je suis sûre qu’il fera des ravages. En tout cas, j’ai souvent l’impression qu’il me demande à quoi je pense pour vérifier que je pense à ce qu’il pense.
-          Tu es sérieux ?
-          Autant que le bipède stationné près du billard qui n’arrête pas de te mater.
-          Lequel, le blond ?
-          Ne fais pas l’innocente !
J’ai visé et j’ai croisé un regard bleu flottant derrière une mèche rebelle. Physiquement, l’inconnu n’est pas du tout mon genre et il vient de prendre congé d’une créature de rêve qui prouve que je ne suis pas du tout son genre. »
(« La Vie de Lily », p.111, Editions Thierry Magnier)

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