vendredi 21 avril 2017

"Better Call Saul"- S3 - Vince Gilligan & Peter Gould



        La diffusion de la saison 3 a commencé après une bonne année d’attente ! Jusqu’ici, les créateurs ont progressé lentement mais sûrement vers la période Walter White, et même s’il n’est pas question de retrouver le chimiste-gangster, c’est avec une délectation rare qu’ils jouent avec notre curiosité. Première fois pour ma part que je découvre les joies d’un spin-off et préquel, et pour une intrigue aussi riche que celle de Breaking Bad, rien de plus grisant que de remonter aux origines…. Pour cette saison 3, une nette accélération est notable dans la narration qui compose avec nos attentes juste ce qu’il faut pour que le plaisir soit total. Analyse de ce goût du jeu avec le spectateur qui connaît la suite et qui trépigne de connaître l’enchaînement des événements sources, avec une séquence de l’épisode 2 de la toute nouvelle saison. Attention, spoiler !


Mike, avec son ingéniosité habituelle, traque celui qui lui a laissé sur le pare-brise ce petit mot griffonné d’un « Don’t » alors qu’il s’apprêtait à tirer sur l’auguste Salamanca à la fin de la saison 2. Qui le lui interdit et pourquoi ? A l’aide d’un savant échange de Gps qui lui permet, alors qu’il était pisté, de suivre ceux qui le surveillent, il chemine vers ce qui semble être un trafic de drogue, orchestré par un cerveau des plus malins. Drogue, trafic, intérêt pour Salamanca…. Tiens, tiens… Et si le terrible Gustavo Fring était derrière cette mise en scène qui lui ressemble tant ? Remonte alors dans nos mémoires un flashback tardif apparu dans Breaking Bad. Le jeune trafiquant Gustavo, alors accompagné de son associé, se voyait rappelé à l’ordre par le déjà puissant Salamanca, encore dressé sur ses deux jambes, qui assassinait sous ses yeux son partenaire. Dès lors, le désir de vengeance ne quittera plus Gus et sera à l’origine de toute son ascension dans le milieu des cartels. Toujours dans Breaking Bad, Mike deviendra le nettoyeur et homme de confiance de Gustavo. Cette traque par Gps interposés poserait-t-elle les jalons de ce qui va mener à leur rencontre, fondée sur une même obsession : en imposer à Salamanca ? Ah, voilà notre cerveau en pleine ébullition !
En parallèle, Jimmy constitue sa clientèle de retraités dans son nouveau cabinet d’avocats monté avec Kim qui elle, se consacre exclusivement à la très grosse affaire de Mesa Verde récupérée in extremis grâce aux bidouilles de Jimmy. L’avocat tente de faire abstraction de son aveu décisif à Chuck qui pourrait l’achever et ignore ce que nous savons : son retors et jaloux de frère aîné a enregistré sa confession et a une idée pour s’en servir contre lui. Si nous ignorons le plan que Chuck a en tête, nous ne pouvons que craindre le pire compte tenu de sa haine viscérale à l’égard de son cadet...


A cette étape, se dessinent donc les deux enjeux majeurs de la série préquel : comment Mike va devenir l’homme de main de Gustavo et comment Jimmy, avocat au bon cœur un brin magouilleur, va se muer en un avocat véreux qui côtoie un monde de gangsters sans pitié incarné par Gustavo Fring ?
               Convergent les deux enjeux lorsque Mike a besoin des services de Jimmy. Son étude minutieuse des itinéraires des trafiquants le mène à un lieu qui semble être le point de livraison final de l’argent. Soit l’antre d’un commanditaire et patron qui a oublié d’être idiot. Alors qu’il observe depuis sa voiture l’aller-retour opéré par un gros 4X4, apparaît enfin en plan large ledit lieu que Mike observe : Los Pollos Hermanos. Il s’agit maintenant de s’assurer du procédé utilisé. Il ne peut bien sûr pas se montrer chez Pollos Hermanos mais il peut mandater un inconnu pour observer ce qui se trame à l’intérieur : Jimmy McGill est son homme. Ils se sont en effet déjà rendu mutuellement service. Nous approchons enfin de LA scène tant attendue.
Jimmy se pointe, l’air de rien croit-il, dans le snack dont nous reconnaissons les menus, les couleurs des uniformes que portent les employés… Rembobinage de rigueur, nous revoyons Walter assis à une table, inquiet, quelques années plus tard. La voix off de Mike, lors d'un échange antérieur avec Jimmy où il lui donnait ses consignes, accompagne l'avocat alors qu'il entre dans le snack ; nous apprenons ainsi qu’un homme portant un sac à dos kaki doit arriver. Jimmy ne doit pas quitter des yeux ce sac et comprendre par quel tour de passe-passe est déposé l’argent. Avec l’humour propre aux auteurs, Jimmy prend son poste d’observation non sans avoir beaucoup, mais alors beaucoup trop sucré son café. Très concentré bien que grimaçant sous l’effet du breuvage infect, il se concentre sur le jeune Latino arrivé avec son sac à dos, qui s’installe dans un box avec son plateau, posant le sac à terre entre ses jambes. Un changement d’angle de caméra plus tard, nous sommes sur Jimmy, attentif au moindre geste du Latino tandis qu’à l’arrière-plan apparaît une silhouette vêtue d’une chemise jaune. Un peu floue d’abord dans la profondeur de champ, la silhouette se rapproche de Jimmy et devient plus nette bien qu’elle soit filmée jusqu’à la ceinture, ne révélant donc pas de visage…  Une chemise jaune portée par un homme qui balaie chez Pollos Hermanos… La surprise à venir se précise. Toujours filmé avec le même suspense, l’homme à la chemise jaune dépasse Jimmy et de dos, continue à balayer cette fois plus près du Latino. Mais rien ne se passe. Et à ce stade, nous on n’en peut plus ;-)
Alors le Latino se lève, se dirige vers le coin poubelle pour se débarrasser de son plateau snack et sort sous l’œil perturbé de Jimmy. Puisqu’il n’a rien vu de particulier, Jimmy en déduit que c’est peut-être dans la poubelle que se trouve la réponse. Et le voilà vidant à son tour son plateau avant de passer comme il peut son bras, puis carrément son buste à travers le clapet mobile spécifique des poubelles de snack pour farfouiller dans les détritus avec un effet des plus comiques. Off, on entend soudain une voix très aimable lui demander s’il a besoin d’aide. Jimmy détache alors à toute vitesse son bracelet montre, le laisse tomber dans la poubelle avant de s’en extirper pour découvrir que son interlocuteur n’est autre que l’homme à la chemise jaune : Gustavo Fring. Jimmy y va de son alibi de montre qu’il tentait de retrouver parmi les restes de poulet, Gus fait mine de le croire et avec sa politesse bien connue l’aide à récupérer la montre. N’empêche, Jimmy a été repéré par celui qui se méfie de tout le monde, et à raison.

A quelques mètres de chez Pollos Hermanos

Quand Jimmy débriefe quelques instants plus tard avec Mike, garé à bonne distance mais dans l’axe du snack visible par le pare-brise arrière, il omet de lui raconter le détail de la montre et son dialogue avec un « employé », se contentant de raconter qu’aucun échange d’argent n’a eu lieu, il en est sûr ! Mike est contrarié, pas nette cette histoire, et congédie Jimmy-pot-de-colle à sa façon grognon. Le plan suivant, exacte symétrie du plan large précédent, dévoile dans la profondeur la voiture de Mike. Nous sommes cette fois juste devant le snack et Gus fait mine de balayer devant l’entrée.

Quand il se retourne vers la caméra, l’air qu’il affiche ne fait aucun doute : ce qui se vient de se dérouler au bout du parking entre Mike et Jimmy ne lui a pas échappé.                 On a rarement vu jeu de piste avec le spectateur aussi brillamment mené, le tout avec un plaisir créatif non dissimulé qui nous gagne. Messieurs Gilligan et Gould, vous avez un talent inouï !