jeudi 11 octobre 2012

"La liste de mes envies", Grégoire Delacourt



Une lecture d’été, pensais-je, dans le genre facile à lire et charmant… Plus que cela, La liste de mes envies et un roman très sensible sur une paire bien connue : argent et bonheur font-ils bon ménage ? Plus encore, devenir riche quand on a vécu jusque là très modestement, est-ce l’Eden annoncé ? Les faits divers sont nombreux quant à ces gagnants du Loto devenus maboules, flambeurs tombant dans la dépression une fois réalisés tous leurs désirs les plus dingues, paranoïaques aigus tant l’argent attire à eux les âmes vénales… Mais qu’en est-il d’une telle révolution sur un couple installé et pas malheureux ?

Jocelyne Guerbette, dite Jo, tient une mercerie à Arras, pas bien riche la Jo mais fine mouche et le cœur gros comme ça. Elle n’aurait pas perdu sa maman si brusquement, là, sur un trottoir un matin, elle aurait fait sans doute de bonnes études puis aurait eu accès à un poste haut placé. Mais voilà, la nécessité l’a poussée à travailler vite pour assurer le tout courant et notamment l’institut où son cher papa qui a perdu la boule est pensionnaire… Jocelyne est mariée à Jocelyn surnommé Jo lui aussi, ouvrier à l’usine : leur étreinte un soir a décidé de leur vie : un premier fils, un deuxième enfant qui n’a pas vu le jour puis une fille. Jo n’a pas la vie rose et romantique qu’elle espérait à 15 ans mais elle sait aussi se satisfaire de ce qu’elle possède déjà. Et puis elle a lu Belle du Seigneur, elle ne se leurre pas trop sur l’amour tel qu’elle le fantasmait à l’adolescence. Son mari n’est pas la finesse incarnée mais il est un peu son bad guy à elle, il est gentil, lui fait les cadeaux qu’il peut ; elle a ses copines, son blog dixdoigtsdor cartonne, ses enfants vont bien… Elle a conscience du précieux de ces petites choses quotidiennes et les apprécie même si elle aimerait offrir à son homme la voiture dont il rêve ou encore se payer de belles robes… Aussi, lorsqu’un jour elle joue enfin au Loto, poussée par ses copines qui y voient l’issue de secours qui les obsède, et qu’elle gagne dix-huit millions, elle garde pourtant la tête froide. Pour commencer, elle n’en parle à personne. Elle inaugure une liste qui identifie les besoins qu’elle a, les cadeaux essentiels qu’elle voudrait faire… En douce, elle se rend à la Française des Jeux à Paris pour retirer son chèque. Elle se pose alors la seule question qui vaille la peine d’être posée : a-t-elle plus à perdre qu’à gagner en empochant ce chèque ?
En déroulant le fil d’une histoire d’amour, d’un amour vrai qui n’a pas le toc du glamour des papiers glacés, l’auteur Grégoire Delacourt explore avec beaucoup de tendresse le territoire de la remise en question au sens large. Ici, c’est l’argent qui fait réfléchir Jo à sa vie parce qu’il est susceptible de tout transformer en lui donnant accès à tout ce qu’elle ne pouvait pas s’offrir : écran plat, appartement, voyages de luxe et… nouveau mec aussi, pourquoi pas ? A moins que ce ne soit monsieur qui se découvre alors une nouvelle jeunesse et en choisisse une autre, plus jeune, plus jolie parce que l’argent rend toujours les hommes séduisants, hein … Il y a des moments cruciaux comme ceux-là dans nos trajectoires : le grand changement se profile, que fait-on ? Joue-t-on la prudence en conservant ce que l’on possède dans un train-train que nous connaissons ou prenons-nous le risque de vivre autre chose et autrement, tout en gardant certains repères que nous chérissons ? N’a-t-on jamais autant apprécié ce que l’on possède qu’au moment où l’on devine qu’on peut le perdre ? Toujours est-il que Delacourt a mis en scène une femme qui a oublié d’être idiote – ça, c’est toujours mieux dans une fiction, ça permet de poser des questions plus fines décidément –, que les livres l’ont nourrie (bel hommage au rôle de la littérature dans nos vies), et que malgré son discernement, Jo sera surprise. Car « on se ment toujours » comme le souligne la première phrase du livre, et ça change beaucoup de choses dans l’analyse que Jo croit faire de bonne foi…

1 commentaire:

  1. Celui-là, je l'ai lu mais je ne pourrais pas en parler aussi bien que toi!

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