Une lecture d’été, pensais-je, dans le genre facile
à lire et charmant… Plus que cela, La
liste de mes envies et un roman très sensible sur une paire bien connue :
argent et bonheur font-ils bon ménage ? Plus encore, devenir riche quand
on a vécu jusque là très modestement, est-ce l’Eden annoncé ? Les faits
divers sont nombreux quant à ces gagnants du Loto devenus maboules, flambeurs
tombant dans la dépression une fois réalisés tous leurs désirs les plus dingues,
paranoïaques aigus tant l’argent attire à eux les âmes vénales… Mais qu’en
est-il d’une telle révolution sur un couple installé et pas malheureux ?
Jocelyne
Guerbette, dite Jo, tient une mercerie à Arras, pas bien riche la Jo mais fine
mouche et le cœur gros comme ça. Elle n’aurait pas perdu sa maman si
brusquement, là, sur un trottoir un matin, elle aurait fait sans doute de
bonnes études puis aurait eu accès à un poste haut placé. Mais voilà, la
nécessité l’a poussée à travailler vite pour assurer le tout courant et
notamment l’institut où son cher papa qui a perdu la boule est
pensionnaire… Jocelyne est mariée à Jocelyn surnommé Jo lui aussi, ouvrier
à l’usine : leur étreinte un soir a décidé de leur vie : un premier
fils, un deuxième enfant qui n’a pas vu le jour puis une fille. Jo n’a pas la
vie rose et romantique qu’elle espérait à 15 ans mais elle sait aussi se
satisfaire de ce qu’elle possède déjà. Et puis elle a lu Belle du Seigneur, elle ne se leurre pas trop sur l’amour tel qu’elle
le fantasmait à l’adolescence. Son mari n’est pas la finesse incarnée mais il
est un peu son bad guy à elle, il est
gentil, lui fait les cadeaux qu’il peut ; elle a ses copines, son blog dixdoigtsdor cartonne, ses enfants vont
bien… Elle a conscience du précieux de ces petites choses quotidiennes et les
apprécie même si elle aimerait offrir à son homme la voiture dont il rêve ou
encore se payer de belles robes… Aussi, lorsqu’un jour elle joue enfin au Loto,
poussée par ses copines qui y voient l’issue de secours qui les obsède, et
qu’elle gagne dix-huit millions, elle garde pourtant la tête froide. Pour
commencer, elle n’en parle à personne. Elle inaugure une liste qui identifie
les besoins qu’elle a, les cadeaux essentiels qu’elle voudrait faire… En douce,
elle se rend à la Française des Jeux à Paris pour retirer son chèque. Elle se
pose alors la seule question qui vaille la peine d’être posée : a-t-elle
plus à perdre qu’à gagner en empochant ce chèque ?
En déroulant
le fil d’une histoire d’amour, d’un amour vrai qui n’a pas le toc du glamour
des papiers glacés, l’auteur Grégoire Delacourt explore avec beaucoup de
tendresse le territoire de la remise en question au sens large. Ici, c’est l’argent
qui fait réfléchir Jo à sa vie parce qu’il est susceptible de tout transformer en
lui donnant accès à tout ce qu’elle ne pouvait pas s’offrir : écran plat,
appartement, voyages de luxe et… nouveau mec aussi, pourquoi pas ? A moins
que ce ne soit monsieur qui se découvre alors une nouvelle jeunesse et en
choisisse une autre, plus jeune, plus jolie parce que l’argent rend toujours
les hommes séduisants, hein … Il y a des moments cruciaux comme ceux-là dans
nos trajectoires : le grand changement se profile, que fait-on ? Joue-t-on
la prudence en conservant ce que l’on possède dans un train-train que nous
connaissons ou prenons-nous le risque de vivre autre chose et autrement, tout
en gardant certains repères que nous chérissons ? N’a-t-on jamais autant
apprécié ce que l’on possède qu’au moment où l’on devine qu’on peut le
perdre ? Toujours est-il que Delacourt a mis en scène une femme qui a
oublié d’être idiote – ça, c’est toujours mieux dans une fiction, ça permet de
poser des questions plus fines décidément –, que les livres l’ont nourrie (bel
hommage au rôle de la littérature dans nos vies), et que malgré son
discernement, Jo sera surprise. Car « on se ment toujours » comme le
souligne la première phrase du livre, et ça change beaucoup de choses dans
l’analyse que Jo croit faire de bonne foi…
Celui-là, je l'ai lu mais je ne pourrais pas en parler aussi bien que toi!
RépondreSupprimer