Première tentation pour ouvrir cet article : s’exclamer
Oui !! après la découverte du film de Pablo Larraín, galvanisant.
Au cœur
de ce troisième long-métrage, un épisode clef de l’histoire chilienne :
Pinochet, dictateur qu’il n’est plus besoin de présenter, a été contraint en
1988, sous la pression internationale, d’organiser un référendum pour légitimer
sa présence au pouvoir. Durant 27 jours, le parti de Pinochet comme celui des
opposants allaient disposer de 15 minutes quotidiennes à la télévision pour mener
campagne. Nul doute que si le dictateur a accepté cet étrange contrat, c’est
qu’il était très sûr de lui… C’était sans compter René Saavedra, jeune
publicitaire bien branché sur son époque, auquel le directeur de campagne du
Non a eu l’idée de faire appel. René Saavedra – au prénom moyennement sexy mais
interprété par le très charmant Gael Garcia Bernal – travaillera sur la campagne comme sur tout
autre produit de consommation de masse. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un
rendez-vous client de René avant que la campagne pour le référendum n’ait
démarré ; il leur fait visionner le spot publicitaire pour une boisson au
cola nommée Free. Au programme, des jeunes habillés selon cette mode qu’on
aimait tant dans Fame avec
justaucorps flashy, blousons à épaulettes et coupes de cheveux dignes des
joueurs de tennis espagnols qui
chantent, qui dansent, qui boivent à s’en faire péter la panse leur boisson
préférée au son d’une chanson pop eighties. C’est la modernité, c’est la
société chilienne du moment. René a la vista.
Exactement comme la pub pensée pour le cola chilien, René va
appliquer les mêmes règles du « donner envie », peu importe qu’il
s’agisse du futur accès à la démocratie après des années de dictature ou d’un
soda. La scène où les membres du comité de campagne en faveur du Non reçoivent
René pour la première fois est intéressante à cet égard ; le spot prévu,
vieillot et triste, enfonce le clou là où les Chiliens ont mal, faisant défiler
images en noir et blanc de torturés, chiffres effrayants sur le nombre d’exilés
de force, etc. Et René de conclure très simplement que le spot n’est pas
« vendeur ». Certes, toutes ces archives sont vraies et reflètent les
années de dictature. Mais c’est de l’avenir ensoleillé promis par la démocratie
qu’il faut parler aux Chiliens, pas du passé douloureux. Autant la campagne
menée pour le Oui doit s’appuyer sur le bilan positif – truqué bien sûr – des
années Pinochet. Autant les défenseurs du Non doivent laisser imaginer le Chili
libre et joyeux de demain, faire rêver à ce nouveau Chili en se projetant dans
un avenir débarrassé de Pinochet. Là est toute la stratégie que va mettre en
place l’équipe menée par René, introduisant habilement une réflexion sur le
marketing produit qui définira dès lors toute campagne de communication,
surtout en politique, comme nos dernières élections présidentielles l’ont
encore magnifiquement illustré....
Le film suit avec énergie la course effrénée de cette
campagne, tant du côté des défenseurs du Non que des défenseurs du Oui.
L’équipe de René rivalise d’idées originales pour évoquer la politique sans
jamais la nommer, tournant quantités de fragments de spots, au son d’un
slogan-gingle communicatif Chile ,
la alegría ya viene !. Ainsi dialogue dans un lit un couple de
quinquas, le mari ne cesse de demander à sa femme de lui dire oui, elle refuse
avec le sourire, il insiste et ainsi de suite, elle s’entête et reste sur sa
position, c’est non. Enfin le mari se tourne vers la caméra et conclut, respectueux : « elle
a dit non ! ». Gonflé et très drôle le spot en question… Et il y en a
quantité de ce type, alternant avec séquences chantées dans les rues, appels à
voter Non de stars américaines telle Jane Fonda, chorégraphies acidulées ou
scènes plus graves qui rappellent par touches la difficulté économique d’une
majorité de la population. On découvre avec amusement que les défenseurs de
Pinochet, furieux du succès des spots ennemis, n’ont pas hésité à reprendre les
idées pour leur faire dire le contraire, remettant en scène par exemple le
couple de quinquas dans le lit conjugal avec pour final le « Oui ! »
de l’épouse, etc. La compétition entre les deux camps est d’autant plus
intéressante que le publicitaire appelé à la rescousse pour la campagne du Oui
n’est autre que le boss de René à l’agence de pub. Le conflit donne lieu à
quelques entrevues dignes des dialogues de mafieux où la pression est là,
subtile mais bien là. On découvre les différentes combines et censures imposées
par le camp du Oui au camp du Non qui ne s’avoue jamais vaincu. René, dont la
conscience politique ne semble pas aussi aiguë que celle de son ex-femme,
militante qui ne craint pas les bleus qu’elle récolte dans les manifs, réalise
à mesure de la campagne la force de son message, qu’il contribue à la marche de
son pays vers la démocratie, ce n’est pas rien en regard de la vente d’un
soda ! L’éveil politique du personnage se fait tout en finesse au fil de
l’histoire. Finesse que l’on retrouve dans le choix esthétique du réalisateur
Pablo Larraín ; il a tourné avec une caméra des années 80, conférant à
l’image une couleur et un grain grossier très spécifiques à l’époque qui permettent
de mêler images d’archives et fiction avec homogénéité. Tout concourt à ce que
le spectateur soit immergé, concerné par les faits. Le film de Larraín est un
hymne à la démocratie, grave et drôle à la fois, assorti d’une réflexion très
actuelle sur les outils employés en politique. A voir à l’automne prochain dans
les salles, y viva Chile !
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