jeudi 14 juin 2012

Sélection cannoise 3 : "NO", Pablo Larraín


Première tentation pour ouvrir cet article : s’exclamer Oui !! après la découverte du film de Pablo Larraín, galvanisant.
Au cœur de ce troisième long-métrage, un épisode clef de l’histoire chilienne : Pinochet, dictateur qu’il n’est plus besoin de présenter, a été contraint en 1988, sous la pression internationale, d’organiser un référendum pour légitimer sa présence au pouvoir. Durant 27 jours, le parti de Pinochet comme celui des opposants allaient disposer de 15 minutes quotidiennes à la télévision pour mener campagne. Nul doute que si le dictateur a accepté cet étrange contrat, c’est qu’il était très sûr de lui… C’était sans compter René Saavedra, jeune publicitaire bien branché sur son époque, auquel le directeur de campagne du Non a eu l’idée de faire appel. René Saavedra – au prénom moyennement sexy mais interprété par le très charmant Gael Garcia Bernal –  travaillera sur la campagne comme sur tout autre produit de consommation de masse. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un rendez-vous client de René avant que la campagne pour le référendum n’ait démarré ; il leur fait visionner le spot publicitaire pour une boisson au cola nommée Free. Au programme, des jeunes habillés selon cette mode qu’on aimait tant dans Fame avec justaucorps flashy, blousons à épaulettes et coupes de cheveux dignes des joueurs de tennis espagnols qui chantent, qui dansent, qui boivent à s’en faire péter la panse leur boisson préférée au son d’une chanson pop eighties. C’est la modernité, c’est la société chilienne du moment. René a la vista.
Exactement comme la pub pensée pour le cola chilien, René va appliquer les mêmes règles du « donner envie », peu importe qu’il s’agisse du futur accès à la démocratie après des années de dictature ou d’un soda. La scène où les membres du comité de campagne en faveur du Non reçoivent René pour la première fois est intéressante à cet égard ; le spot prévu, vieillot et triste, enfonce le clou là où les Chiliens ont mal, faisant défiler images en noir et blanc de torturés, chiffres effrayants sur le nombre d’exilés de force, etc. Et René de conclure très simplement que le spot n’est pas « vendeur ». Certes, toutes ces archives sont vraies et reflètent les années de dictature. Mais c’est de l’avenir ensoleillé promis par la démocratie qu’il faut parler aux Chiliens, pas du passé douloureux. Autant la campagne menée pour le Oui doit s’appuyer sur le bilan positif – truqué bien sûr – des années Pinochet. Autant les défenseurs du Non doivent laisser imaginer le Chili libre et joyeux de demain, faire rêver à ce nouveau Chili en se projetant dans un avenir débarrassé de Pinochet. Là est toute la stratégie que va mettre en place l’équipe menée par René, introduisant habilement une réflexion sur le marketing produit qui définira dès lors toute campagne de communication, surtout en politique, comme nos dernières élections présidentielles l’ont encore magnifiquement illustré....
Le film suit avec énergie la course effrénée de cette campagne, tant du côté des défenseurs du Non que des défenseurs du Oui. L’équipe de René rivalise d’idées originales pour évoquer la politique sans jamais la nommer, tournant quantités de fragments de spots, au son d’un slogan-gingle communicatif Chile , la alegría ya viene !. Ainsi dialogue dans un lit un couple de quinquas, le mari ne cesse de demander à sa femme de lui dire oui, elle refuse avec le sourire, il insiste et ainsi de suite, elle s’entête et reste sur sa position, c’est non. Enfin le mari se tourne vers la caméra et conclut, respectueux : « elle a dit non ! ». Gonflé et très drôle le spot en question… Et il y en a quantité de ce type, alternant avec séquences chantées dans les rues, appels à voter Non de stars américaines telle Jane Fonda, chorégraphies acidulées ou scènes plus graves qui rappellent par touches la difficulté économique d’une majorité de la population. On découvre avec amusement que les défenseurs de Pinochet, furieux du succès des spots ennemis, n’ont pas hésité à reprendre les idées pour leur faire dire le contraire, remettant en scène par exemple le couple de quinquas dans le lit conjugal avec pour final le « Oui ! » de l’épouse, etc. La compétition entre les deux camps est d’autant plus intéressante que le publicitaire appelé à la rescousse pour la campagne du Oui n’est autre que le boss de René à l’agence de pub. Le conflit donne lieu à quelques entrevues dignes des dialogues de mafieux où la pression est là, subtile mais bien là. On découvre les différentes combines et censures imposées par le camp du Oui au camp du Non qui ne s’avoue jamais vaincu. René, dont la conscience politique ne semble pas aussi aiguë que celle de son ex-femme, militante qui ne craint pas les bleus qu’elle récolte dans les manifs, réalise à mesure de la campagne la force de son message, qu’il contribue à la marche de son pays vers la démocratie, ce n’est pas rien en regard de la vente d’un soda ! L’éveil politique du personnage se fait tout en finesse au fil de l’histoire. Finesse que l’on retrouve dans le choix esthétique du réalisateur Pablo Larraín ; il a tourné avec une caméra des années 80, conférant à l’image une couleur et un grain grossier très spécifiques à l’époque qui permettent de mêler images d’archives et fiction avec homogénéité. Tout concourt à ce que le spectateur soit immergé, concerné par les faits. Le film de Larraín est un hymne à la démocratie, grave et drôle à la fois, assorti d’une réflexion très actuelle sur les outils employés en politique. A voir à l’automne prochain dans les salles, y viva Chile !

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