mercredi 31 octobre 2012

"Amour", Michael Haneke



Aller voire Amour relève d’une démarche bien étrange de la part du spectateur. Son sujet est difficile, impossible de ne pas savoir de quoi il s’agit après sa consécration au festival de Cannes et son casting d’acteurs éclatants. Non pas que tout sujet difficile et bouleversant traité dans l’art, et notamment au cinéma, relève d’une démarche masochiste pour qui va découvrir l’œuvre – beaucoup de grands films et de grands sujets manqueraient alors à notre culture – mais le sujet d’Haneke a une spécificité : le drame nous projette dans ce qui nous concerne absolument tous à plus ou moins brève échéance, que l’on en soit les protagonistes ou les témoins aimants : le naufrage de la vieillesse, de la maladie qui nous ôte progressivement tout contrôle de nous-mêmes : parole, sphincter, jambes, intellect… la déchéance du grand âge quand la vie pourtant reste là, à emplir désespérément nos poumons. Avec mes 30 ans, je me lance dans ce film plus sereine qu’un vieillard a priori. J’ai un peu plus de temps pour voir venir. Et pourtant, pas si sûr… Je me suis étonnée en effet devant la salle comble qu’une majorité du public dépassait les 60 ans ; non que je les enterre déjà les sexagénaires, mais je n’ai pu m’empêcher de penser combien la projection pour eux devait être encore plus cruelle ; ils sont théoriquement à un âge où la peur de vieillir, la maladie qui guette etc. sont plus présentes qu’en pleine fleur de l’âge, non ? (Exception faite de quelques grands angoissés qui depuis leur jeunesse n’ont cessé d’entrevoir l’issue fatale qui nous attend tous.) Si moi j’ai pu percevoir dans ce film un futur plus ou moins proche qui me bouleverse en tant que fille, si j’ai pu y associer quelques tristes souvenirs de ma grand-mère alitée les derniers mois de sa vie, si j’ai pu y lire l’indéfectible amour qui peut lier deux êtres qui ont été beaux, jeunes et puissants aujourd’hui vieux, boitillants et qui tuent le temps, qu’y a vu une personne de l’âge des personnages ? Qu’est-ce qui nous guide dans ce désir de voir ce qui nous effraie le plus et qu’on ne pourra arrêter le moment venu ? Que cherche-t-on à la rencontre de ce film d’Haneke ? A nous effrayer ? Ou au contraire à effectuer la bonne vieille catharsis et regarder tellement en face cette tragédie qui est indissociable de la vie qu’on en sortira plus fort une fois confronté à elle ? Je n’ai pas vraiment de réponse.
Car inutile d’attendre d’Haneke une quelconque transcendance poétique de son sujet. Fidèle à sa méthode, il étudie de façon minutieuse et quasi-clinique ce naufrage, cet amour qui s’acharne à vouloir vaincre la maladie. Le constat est froid, sobre, jamais il ne s’épanche, ne s’apitoie sur les personnages. Il commence par les regarder vivre encore bien portants dans les premières scènes, orchestrant avec une délicatesse qui fait écho à celle des personnages – intellectuels distingués – les petits moments qui rythment les journées des vieux amants. Puis la maladie d’Anne survient et ces petits riens de la journée deviennent des événements tant ils sont laborieux (la toilette, le repas, le lever…) Le regard d’Haneke se pose plus précisément sur le personnage de Georges – JL Trintignant – et sa perception des événements. Il est celui qui garde le cap et ses facultés, qui soigne sa femme, qui établit le relais avec l’extérieur et leur fille, mais qui ne tarde pas à juger que cette vie les concerne eux seuls, qu’elle n’est pas un spectacle qui mérite la peine d’être partagé avec les autres. On sent que leur amour était exclusif jadis, il l’est encore aujourd’hui une fois au bord de l’abîme. Comme Georges le dit à sa fille qui passe de temps en temps les voir et qui lui reproche de ne pas avoir répondu à ses coups de fil : « ton inquiétude m’encombre, je n’ai pas besoin de ton inquiétude ». Oui, il livre un combat perdu d’avance, les médecins le lui ont confirmé et pourtant… il lutte avec son amour jusqu’à ce que la mort les sépare. C’est un film poignant même si je ne sais toujours pas si la douleur qui m’accompagne pendant et après est salutaire. Ah, cet Haneke qui ne cesse de me bousculer… Haneke célèbre l’amour, pour sûr, mais il choisit l’un de ses visages les plus dérangeants puisqu’il décide d’en raconter la mort. Et je ne suis décidément pas faite à cette idée.

1 commentaire:

  1. Finesse et pertinence de ton commentaire ! As usual !
    Je trouve que cette sobriété, cette absence de pathos, cette rigueur dans le timing des scènes symboliques donnent toute sa force et son universalité au film... Grand, grand film servi par deux comédiens qui donnent sans compter et nous aident à regarder en face !

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