Il y a des
films dont on sort sonné. Después de Lucía fait partie de ceux-là. Pour ma part, je n’avais pas grande idée du sujet de ce
film mexicain, et voilà que j’entre dans la vie de la jeune Alejandra et de son
père. Ils changent de ville, de vie, à la suite d’un deuil que l’on devine ;
Lucía la mère, est morte quelques mois plus tôt dans un accident de voiture. Le
père et la fille tentent chacun de dompter leur chagrin, un nouveau départ est
pris dans la ville de Mexico. Pour le père, chef cuisinier, il s’agit de
remonter un restaurant, pour sa fille de s’intégrer dans un nouveau lycée, de
se faire des amis et de poursuivre ses études le mieux possible. Il existe
entre eux un amour et une pudeur tels qu’ils essaient de ne pas encombrer
l’autre de leur chagrin respectif. Lui pleure en douce quand elle quitte la
pièce et elle ne raconte que les aspects positifs de sa nouvelle vie. Ainsi elle
pense lui faire plaisir en lui annonçant qu’elle est conviée à passer un
week-end chez l’une de ses camarades, la preuve qu’elle se fait une place et
qu’elle est appréciée : en effet elle est jolie, sympa et exotique pour les
autres. Un peu secrète, elle tait les raisons pour lesquelles elle est venue
vivre à Mexico, sa retenue, malgré elle, entoure son personnage d’un certain
mystère qui ne tarde pas à séduire le beau mec de la bande. Les copines qu’elle
s’était faites jusque là commencent à la jalouser, surtout lors du week-end en
question où Alejandra, saoule, finit dans les bras du bellâtre à l’issue d’une
soirée bien arrosée. Le jeune don Juan immature a pris soin de filmer leurs
ébats pour mieux les diffuser sur le web… Sa réputation de salope commence à
courir les couloirs du lycée, elle se défend à peine, préoccupée qu’elle est de
ne pas contrarier son père qu’elle aime tant. Elle a le malheur de se taire, de
montrer une seule fois qu’elle peut céder à leur chantage et c’est toute la
mécanique du harcèlement qui se met en place. Ses camarades ont saisi qu’elle
ne se plaindrait pas aux adultes. Ils ne connaissent pas la raison profonde de
sa faiblesse et s’en moquent, ils ont trouvé une proie idéale et vont prendre
un malin plaisir à infliger les sévices les plus cruels qui soient à leur bouc émissaire. Jeunesse dorée, ces lycéens n’ont au sens
large aucune éducation, il ne respectent pas plus les chambres d’hôtel qu’ils
saccagent de leur mégots et de leurs vomis qu’ils ne respectent un être humain.
Le ressort
magnifique du scénario est l’amour qu’Alejandra porte à son père, qui la contraint à se taire ; elle s’inflige ce silence toute seule, son
père s’il savait prendrait sa défense, la croirait sur parole,
se battrait contre les petites frappes qui la martyrisent. Pourtant, Alejandra
se mure dans l’enfer de son silence, et les tortures se multiplient. La
sobriété de la mise en scène de Michel Franco évite tout spectaculaire. Au sens
propre, nous sommes les spectateurs impuissants
de la descente aux enfers de la jeune fille, nous sommes le hors champ, nous ne
pouvons réagir, forcés que nous sommes d’assister aux mauvais traitements
qu’elle subit, comme tous les témoins physiques dans la fiction qui se taisent eux aussi.
Privilégiant les plans fixes, Franco fait vivre les longues scènes dans la
temporalité du réel, imposant progressivement la cruauté des traitements qui ne
sont jamais annoncés mais intégrés à la normalité du reste de la scène ;
ainsi, lors de la soirée en voyage de classe, une chambre d’hôtel rassemble les
jeunes qui papotent, flirtent sur les lits, boivent des bières. Dans la
profondeur de champ une petite porte donne accès à la salle de bain ;
régulièrement, des jeunes garçons y entrent, y restent un peu, en ressortent pour
indiquer aux copains qu’ils peuvent s’y rendre à leur tour. Nous, nous savons que
dans la salle de bain est reléguée Alejandra, elle a été virée plus tôt de sa
place sur le lit par une camarade. Nous la découvrirons plus tard, recroquevillée
dans un coin, comprenant alors que les uns et les autres ont fait de ce corps
ce qu’ils voulaient… et pendant ce temps, la fête
bat son plein dans la chambre, tous savent ce qui se trame dans cette salle de
bain, par leur participation muette et leur apparent désintérêt, tous sont
complices… Le film nous violente à notre tour par ce contraste entre l’anodin
d’une soirée entre jeunes, vécue cent fois, et l’anomalie qui se trame dans le
fond, là, derrière la porte de la salle
de bain, racontée avec la même simplicité formelle que le reste. Le film a
le grand mérite d’aborder un sujet grave, tellement grave qu’on voudrait s’en
défendre en pensant que non, ça n’est pas possible, il en fait trop. Michel
Franco nous assène une claque en pleine figure qui met en lumière une réalité
sociale avec les dérives de l’argent et du supposé pouvoir qu’il accorde même
chez de très jeunes gens, une propension naturelle à la cruauté dont certains
sont dotés, et surtout un amour filial si généreux et total qu’il mènera ses
protagonistes aux pires souffrances. Un comble.
... AUSSI EN SALLES EN CE MOIS D'OCTOBRE, LES FILMS :
"LIKE SOMEONE IN LOVE" ET "IN ANOTHER COUNTRY" QUE J'AVAIS CHRONIQUES EN JUIN DERNIER.
A VOIR AUSSI !!
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