dimanche 12 mars 2017

"Split", M. Night Shyamalan



 M. Night Shyamalan, s’il a été par-ci par-là moins inspiré, signe avec Split un très bon film où son art de la mise en scène en jette. Il entraîne le spectateur dans un film de genre très psychologique pour mieux l’emmener vers un dénouement inattendu.
Barry, ici dans la peau de Patricia (James McAvoy)

Casey (Anya Taylor-Joy)
Avec The Visit en 2015, le cinéaste s’était attelé à un projet aux allures artisanales dans l’esprit de Blair Witch, mettant en scène deux adolescents qui se rendaient pour la première fois chez leurs grands-parents à la campagne. Filmée comme une vidéo amateur puisque le film lui-même était censé être réalisé par les ados, l'histoire contée par Shyamalan inquiétait avec des grands-parents terrifiants qui s’avéraient ne pas être ceux que l’on croyait. Film d’horreur réussi qui m’avait suivie dans mon sommeil quelque temps… !

Pour Split, retour à un budget plus conséquent – 9 millions de dollars – pour explorer d’une toute autre manière son sujet favori : l’identité et ses aléas. Pour ce faire, quoi de plus excitant que de s’atteler à l’histoire d’un homme à l’intérieur de qui cohabitent plusieurs personnages ? Paradoxe insurmontable à dépasser : si la schizophrénie est souffrance dans la réalité, dans le monde de la fiction elle se mue en une source infinie de plaisirs de création et d’interprétation.
Nous allons découvrir le personnage de Barry, un homme atteint de troubles dissociatifs de l’identité (TDI).  L’acteur James McAvoy se prête au jeu du changement de personnalité avec un plaisir évident, alternant inconfort corporel de Hedwig, 9 ans, humour d’institutrice sadique de Patricia, dureté tout en muscles et en anxiété de Dennis, créativité pour Barry, passionné par la mode… C’est pas à pas que nous comprenons que tous ces personnages n’en forment qu’un, l’enfant blessé que fut Kevin Wendell Crumb, malmené dans son enfance. C’est en effet suite à ce genre de trauma originel que les troubles dissociatifs de personnalité se manifestent, comme une protection pour la victime qui se réfugie derrière des personnages plus vivants encore qu’une réalité insupportable.
Tour à tour sous l’emprise de Dennis, Patricia, Hedwig ou Kevin, Barry est au seuil d’un moment décisif : celui où une nouvelle personnalité est sur le point de prendre le contrôle sur les autres. Et bien sûr, elle est loin d’être inoffensive.

Pour nous accompagner dans cette aventure singulière, rien de tel que de nous faire adopter le point de vue d’une jeune fille kidnappée par l’animal schizophrène et sous la menace d’un projet inconnu donc par nature favorable au suspense.
Shyamalan nous alpague dès les premières minutes avec une séquence inaugurale qui force le respect. Dans un grand restau sans âme bordé d’un parking tout aussi impersonnel, Casey, lycéenne, se tient à l’écart de la fête d’anniversaire d’une camarade. A l’issue du déjeuner, elle accepte poliment la proposition du père de la jeune fille qui insiste pour la raccompagner. Les minettes et Casey se dirigent donc vers la voiture, suivies du père au grand cœur. Alors que les deux copines s’installent à l’arrière de la voiture en gloussant, le père range les doggy bags dans le coffre et Casey prend place sur le siège passager. Dès lors, c’est à travers son regard noir et inquiet scrutant le rétroviseur que nous est relatée la suite décisive. Ou plus exactement que notre imagination est sollicitée face à des faits que nous nous contentons de déduire… Tout le savoir-faire de Shyamalan est illustré dans cette scène où rythme et montage sont au service de l’action. Il storyboarde tous ses films, le résultat est là ! A l’issue de cette scène s’installe au volant non le père mais un étranger silencieux, Dennis. Entre lui et Casey, est échangé un regard intense loin de l’hystérie des filles à l’arrière. Regard qui préfigure une relation complexe et complice entre prisonnière et geôlier. En effet, si les trois filles sont bien kidnappées et séquestrées, c’est la relation entre Casey et Barry/Dennis/Hedwig qui sera centrale.
Casey, au contraire de ses camarades affolées qui ont du mal à faire fonctionner leur cerveau, appréhende progressivement son geôlier Dennis en gardant en tête son objectif : s’enfuir. De courts flash-backs illustrent l’enfance de Casey dont le père,  chasseur, lui a enseigné l’art d’attendre sa proie avant d’armer son fusil. Observer d’abord, agir ensuite. A l’instar de Casey, nous sommes dans l’attente de comprendre ce que Kevin veut faire de ses captives. Mais nous disposons aussi d’un peu d’avance sur elle – plaisir bien connu de spectateur - puisque nous assistons également aux scènes que Dennis/Barry vit à l’extérieur de sa planque : ses séances chez sa psy. Ainsi, nous pouvons mesurer toute la gravité de son cas…

Alternant scènes chez le Docteur Fletcher riches d’informations sur les troubles du patient  fréquentable Barry, et scènes dans la planque labyrinthique du kidnappeur Dennis, le film tire savamment les fils de l’intrigue pour les faire converger. Plus nous en savons sur Kevin-Dennis-Patricia-Hedwig-Barry, plus le danger se précise pour Casey retenue prisonnière, et plus la psy tente d’empêcher un drame qu’elle pressent mais dont elle ne connaît pas la nature. Casey, Dr. Fletcher et le spectateur disposent donc d’informations qui se complèteraient pour empêcher le pire mais qui, isolées, restent impuissantes.
La tension progresse ainsi deux heures durant, nous confrontant à une action démultipliée par le principe même des personnalités distinctes du héros. On tremble face à un danger qui ne révèle pas son nom, manœuvre habile de l’auteur qui remplit brillamment son objectif : nous terroriser par l’inconnu. Jusqu’à nous mener à un dénouement étonnant par sa dimension fantastique mais ordonné, apportant les dernières pièces au puzzle. Un très bon Shyamalan !

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