J’ai
eu le privilège d’aller découvrir en VIP l’exposition que consacre le Louvre au
« chef-d’œuvre ultime de Léonard », la Sainte Anne. Le commissaire
d’exposition intervenait vers 15h, je suis arrivée un peu avant pour me laisser
le choix de l’écouter. A 15h exactement, annonce du début de sa conférence : les
journalistes nombreux avec lesquels je partageais ma place devant les
dessins se sont précipités pour aller écouter le
spécialiste. Je me suis posé un instant
la question de me joindre à la cohue et puis non ! le plaisir de la
découverte tranquille - surtout au Louvre, ici désert - l’a emporté. Je n’ai
pas regretté de la jouer cavalier seul compte tenu de l’exhaustivité des
commentaires qui accompagnaient chaque œuvre.
L’expo
propose de retracer le parcours de l’artiste autour de cette œuvre majeure.
Vinci a consacré vingt ans de sa vie à cette toile, restée inachevée à sa mort
en 1519. Il avait à cœur de traiter cette figure d’Anne, mère de la Vierge
Marie qui, c’est à noter, a eu l’incroyable talent de concevoir sa fille Immaculée
Conception, tout le monde ne peut pas le faire !! Faisant une entorse à la
chronologie puisqu’Anne est censée être morte à la naissance de Jésus, Vinci
souhaite rassembler les trois générations dans un même tableau : la
grand-mère, la fille, le petit-fils. Me voilà partie dans les méandres de la
pensée de Léonard, en quête de perfection. La magie a opéré dès la première
salle… Dessins préparatoires, esquisses, croquis, copies par les élèves de son
atelier des versions intermédiaires aujourd’hui égarées, c’est toute la genèse
du tableau qui est racontée. A la recherche de la diagonale parfaite, Vinci
oscille entre plusieurs compositions ; finalement, Anne domine de sa grâce
Marie assise sur ses genoux qui elle-même tâche de retenir l’enfant Jésus occupé
à jouer avec un agneau, symbole de son futur sacrifice. Le décor qui accueille
la scène rassemble les grandes forces vitales de l’univers : un paysage de
montagnes et de cieux bleu gris, un sol de roches faisant irruption de la
terre. Bien sûr, Anne doit incarner la douceur, la beauté, la protection ; sa
posture, l’arrondi de son visage comme
le regard qu’elle porte sur sa fille et Jésus sont maintes fois dessinés,
revus, modifiés… La stabilité de l’enfant Jésus retenu par sa mère tient à la
position de son pied gauche, en tension ; plusieurs études du peintre
illustrent la recherche de cet équilibre ténu.
Quantité
de détails sont maintes et maintes fois travaillés par Vinci, signalant qu’à
chaque modification, le peintre a conscience de ne pas raconter la même
histoire, forme et fond étant inséparables. Ainsi, le soin apporté au drapé du
manteau de Marie et plus particulièrement à la forme qu’il prend dans son dos,
est révélateur ; on ne voit pas la main d’Anne dans le dos de sa fille
mais le plissé du manteau de Marie, selon qu’il est très tendu ou plus relâché,
signale la fermeté avec laquelle sa mère la retient. Au fil de sa réflexion,
Vinci arrondit finalement ce plissé, Anne n’a pas besoin de retenir fermement
Marie, la jeune mère ne pouvant lutter contre la destinée de son fils, né pour mourir
en martyr.
Et puis enfin, après
avoir suivi le cheminement tout en douceur et en labeur de Vinci, je découvre
au fond, comme consacrée, la toile définitive du maître, minutieusement restaurée
ces deux dernières années après moult débats au sein de la haute commission de spécialistes de Léonard de Vinci qui craignaient de dénaturer le chef-d’œuvre : le résultat est une splendeur, j’aurais pu contempler
cette toile des heures. Un mélange entre inachèvement et science du détail selon les
éléments, mais une grâce… je ne vois pas d’autre mot que celui-là, la grâce qui
se dégage de ce tableau est bouleversante. Est-ce parce que plus que jamais à
l’issue de cette expo, j’avais en tête le travail infini de l’artiste pour parvenir
à une telle beauté que je suis si émue ? Ou parce que la palette de
couleurs, la perfection des drapés, la sérénité qui se dégage du ciel délavé,
la douceur des effets de sfumato sur
les visages ombrés, la gravité de ces figures maternelles suffisent à m'émerveiller ? Le génie a ceci de fascinant qu’il n’est accessible
qu’en partie ; les copies réalisées par des élèves de Vinci le prouvent, ils disposaient
d’exemples parfaits et pourtant leurs toiles ne tutoient jamais la grandeur de
leur professeur. Le miracle existe par-delà la technique picturale, une sensibilité
propre à Vinci. Bref... une splendeur, je le répète.
On notera combien l’œuvre a inspiré au fil du temps artistes et intellectuels : Michel-Ange ou Raphaël s'inspireront de la Sainte Anne de Léonard, puis les surréalistes tel Max Ernst revisiteront la légende. Et Sigmund Freud, à votre avis, qu'a-t-il bien pu voir dans ce tableau que nos yeux chastes auraient zappé ? Intrigué par le cas de De Vinci dont la sexualité paraissait inexistante, il verra dans le tableau l'illustration inconsciente du rêve du petit Léonard, narré dans son journal par le peintre lui-même une fois adulte. En effet, l'artiste avait raconté avoir rêvé qu'un vautour l'attaquait dans son berceau et lui fourrait sa queue dans la bouche à la place du sein maternel, ce qui expliquerait l'intérêt tout particulier qu'il porta par la suite à l'étude des oiseaux. Selon Freud, donc, si l'on se concentre sur le drapé bleu de la robe de la Vierge, qu'on isole sa forme du reste de la tenue, et que l'on effectue une très simple rotation du tableau de 45° vers la droite, se détache la forme d'un rapace dont la queue se trouve dans la bouche de l'enfant Jésus, signe on ne peut plus évident de l'homosexualité "platonique" comme il la nomme, du peintre italien.... Ah, fascinant Léonard qui parvenait à maquiller de tels fantasmes enfantins dans une trinité toute religieuse... A chacun de juger de la pertinence de l'analyse freudienne, hein.
On notera combien l’œuvre a inspiré au fil du temps artistes et intellectuels : Michel-Ange ou Raphaël s'inspireront de la Sainte Anne de Léonard, puis les surréalistes tel Max Ernst revisiteront la légende. Et Sigmund Freud, à votre avis, qu'a-t-il bien pu voir dans ce tableau que nos yeux chastes auraient zappé ? Intrigué par le cas de De Vinci dont la sexualité paraissait inexistante, il verra dans le tableau l'illustration inconsciente du rêve du petit Léonard, narré dans son journal par le peintre lui-même une fois adulte. En effet, l'artiste avait raconté avoir rêvé qu'un vautour l'attaquait dans son berceau et lui fourrait sa queue dans la bouche à la place du sein maternel, ce qui expliquerait l'intérêt tout particulier qu'il porta par la suite à l'étude des oiseaux. Selon Freud, donc, si l'on se concentre sur le drapé bleu de la robe de la Vierge, qu'on isole sa forme du reste de la tenue, et que l'on effectue une très simple rotation du tableau de 45° vers la droite, se détache la forme d'un rapace dont la queue se trouve dans la bouche de l'enfant Jésus, signe on ne peut plus évident de l'homosexualité "platonique" comme il la nomme, du peintre italien.... Ah, fascinant Léonard qui parvenait à maquiller de tels fantasmes enfantins dans une trinité toute religieuse... A chacun de juger de la pertinence de l'analyse freudienne, hein.
Quelle précision et quelle finesse de commentaire !
RépondreSupprimerLe parcours initiatique de cette exposition est effectivement très riche ! j'ajouterais que j'ai été saisie par le premier carton exposé à gauche de la toile ! Le regard d'Anne y est d'une force extraordinaire !