Foer ?
Ce nom me disait quelque chose… Mais oui, le frangin de l’ami Jonathan Safran
Foer qui avait signé il y a quelques années le très beau roman Extrêmement fort, incroyablement près
qui s’inspirait du trauma du 11 septembre pour raconter la quête d’un petit
garçon dans la ville, à la recherche de son père.
Dans la famille Foer
donc, je découvre le cadet, journaliste de son état, tout aussi brillant et
singulier que son écrivain de frère. Cet original, à l’occasion d’un papier
qu’il doit faire sur les championnats de mémoire des Etats-Unis, va étudier
d’« incroyablement près » la question de la mémoire. A ce travail
très fouillé, deux motivations principales : il est fasciné par ces férus
de l’exercice de mémorisation, capables de se souvenir en quelques minutes de
l’ordre de 3 jeux de cartes, d’une suite aléatoire de 30 lignes de chiffres ou
encore 50 strophes d’un poème en prose. Et plus intrigant encore, les champions
en la matière lui disent avec une sincérité qui ne peut pas être de la fausse
modestie, que tous autant que nous sommes, nous pouvons arriver aux mêmes
records… avec de l’entraînement. Non, c’est vrai ? Oui mon capitaine, ni
une ni deux le journaliste Joshua Foer décide de jouer le jeu et d’expérimenter
de l’intérieur la préparation des futurs championnats américains. Il a un an
devant lui pour se préparer, coaché par
un ancien champion anglais fan de cricket et éternel adolescent. Ce faisant,
Foer va étudier aussi l’histoire de la mémoire dans nos civilisations,
rencontrer des spécialistes des techniques utilisées par les plus grands
mnémonistes – c’est comme cela qu’on les appelle – et nous faire découvrir par
petites touches pratiques comment, nous aussi, exploiter le potentiel de notre
mémoire, absolument énorme !!
Je
suis allée de découverte en découverte dans ce livre qui évite l’écueil du
catalogue de cas scientifiques étudiés au fil des siècles qui, pourtant, ont beaucoup
enrichi la connaissance que nous avons aujourd’hui du fonctionnement de la
mémoire.
Et où
la situe-t-on la mémoire dans le cerveau ? Où sont « rangées »
les choses que nous savons et pour lesquelles nous faisons appel à notre
mémoire ? Dans quel hémisphère par exemple, le gauche ou le droit ?
Et ben non, mauvais départ, la mémoire est comme mobile, nos souvenirs et
connaissances ne sont pas stockés en un endroit défini et unique de notre
cerveau. Selon les infos auxquelles ils correspondent, les souvenirs existent comme
entre les neurones. Car la mémoire est constituée en fait des connexions qu’elle
établit sans cesse entre telle chose et telle chose. Si tel nom ou événement
nous revient c’est parce que nous l’avons connecté avec un autre élément qui suscite
le souvenir. Par exemple, je me souviens de Paul parce que plus tôt nous avons
évoqué Jacques dans la conversation, or c’est Jacques qui m’a fait rencontrer
Paul, etc. (caricatural l’exemple, mais au moins c’est clair.) De même
parle-t-on toujours de mémoire photographique ou visuelle. C’est le terme
vulgaire pour évoquer le fait que ce qui fait appel à une image, donc au sens
propre à notre imagination, est ancré plus facilement dans notre mémoire.
Moi-même je sais que dans un bouquin, si une phrase est particulièrement
évocatrice, qu’elle a suscité mon intérêt, ou m’a émue, je peux la situer dans
la page et me souvenir que la phrase était sur une page de droite, plutôt aux
2/3 de la page. Plus facile pour la retrouver si je veux la citer exactement.
Et bien cet appel à des images est en effet la clé d’une mémoire très efficace.
Depuis l’Antiquité, âge d’or de la pensée où l’oralité était au cœur du savoir
puisque l’écrit se faisait encore rare - pas encore de génial Gutenberg à
l’horizon, il faudrait attendre le XVème siècle pour que les supports externes
à notre mémoire se démocratisent - les hommes faisaient appel en
permanence à leur mémoire, unique outil
fiable sur lequel s’appuyer. Ils se constituaient pour cela des « palais
de mémoire » et ces palais sont toujours utilisés aujourd’hui par les
champions de mémorisation. Le principe en est simple : imaginer un espace,
un lieu que l’on connaît très bien : sa maison de vacances ou l’école
primaire où l’on a passé 8 ans de sa vie afin de visualiser ce lieu dans les
moindres détails (mobilier, matière des choses, escaliers, surfaces,
décorations murales, etc.) Se projeter dans ce lieu précis dans un parcours que
nous effectuons, allant d’un point à un autre. Placer en divers points de notre
parcours à mesure que nous avançons dans ce lieu (porte d’entrée, portemanteau
à l’entrée du vestibule, sur le piano du salon…), les choses à se rappeler.
Disons par exemple que ces choses à se rappeler seront les éléments d’une liste
de courses : beurre, pain, moutarde, lessive, mouchoirs, salade. A mémoriser
dans cet ordre dans notre exercice. Ne
pas se contenter de placer le beurre sur le paillasson devant la porte d’entrée
mais visualiser une scène émotionnellement forte pour nous avec ce beurre à cet
endroit : plus l’image est forte parce que choquante, très drôle, décalée
ou dégueulasse, plus elle s’ancrera dans notre « palais de mémoire ».
Imaginer par exemple le beurre dont s’est tartinée votre sœur âgée de 4 ans,
assise sur le paillasson. Idem pour le pain, une fois dans l’entrée, tel
personnage de votre imagination se prend un vrai pain dans la figure et se
casse la figure sur le portemanteau du vestibule, et ainsi de suite pour
mémoriser dans le bon ordre les autres objets au fil du parcours. Le principe
des images fortes, faisant appel au sensoriel et à l’imagination, permet aussi
de créer dans une même image un couple d’informations, chaque élément
représenté se référant à une idée à retenir. Lorsque le niveau des mnémonistes des
championnats augmente, ils font appel à des images qui contiennent en effet plusieurs
informations à la fois. Dans l’exercice de la mémorisation de l’ordre d’un jeu
de cartes par exemple, ils vont mémoriser les cartes par paires. Une image à
eux, en un endroit précis du palais de mémoire, va ainsi illustrer à la fois le
couple roi de trèfle - as de cœur, et le fait que c’est la première paire de
cartes dans l’ordre du jeu. Idem pour tous les couples de cartes possibles.
Dans notre exemple, la sœur de 4 ans sera un référent au roi de trèfle ;
tartinée de miel, c’est l’as de cœur qu’elle évoquera, et le paillasson sur lequel
elle est assise appellera lui la position de cette paire de cartes dans le jeu à
mémoriser…. Fastoche, non ? Ce principe du palais de mémoire est restée la
clé de la mémorisation depuis les Grecs, incroyable qu’aucune autre méthode n’ait
fait ses preuves depuis… On comprend que de tels efforts d’imagination limitent
la durée d’entraînement des champions à une heure quotidienne, quel
boulot ! Et l’on comprend aussi,
une fois intégré ce principe du palais de mémoire et ses images fantaisistes
voire folles, le génial titre original américain de l’ouvrage de Foer : Moonwalking with Einstein. Génial mais
peut-être pas très vendeur, hein, il faut avoir été initié au principe quand
même pour comprendre le titre et donc le sujet du livre !
Entre
autres informations toutes intéressantes, on apprendra combien les as du calcul
mental visualisent eux aussi les chiffres, leur attribuant couleurs, formes,
textures et comment les combinaisons entre ces chiffres leur permettent en très
peu de temps de visualiser le résultat de l’opération sous forme d’image.
Individus hors normes dotés de l’aptitude synesthésique, malades dont un
hémisphère comme atrophié fonctionne mal et dont l’autre hémisphère déploie des
capacités de mémorisation exceptionnelles…. Tous ces éléments nourrissent ce
livre rédigé avec talent. Foer convie à un voyage entre science et fantaisie dans
l’histoire de la culture et l’évolution de ses supports. Il signale au passage
combien notre mémoire à très haut potentiel est devenue flemmarde au fil du
temps : de l’apparition de l’imprimerie, en passant par les ordinateurs
dont la capacité à stocker de la mémoire est infinie, jusqu’aux bloc-notes des
smartphones et autres joujoux d’aujourd’hui qui sonnent pour nous signaler le
moindre anniversaire à retenir. Nous n’avons plus ou presque l’occasion d’exercer
notre mémoire pourtant hyper puissante, la preuve : Foer, à l’issue de son
année d’entraînement, a remporté le championnat des Etats-Unis, mais oui.
Merci beaucoup! je cherche ce livre
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