M. Night Shyamalan,
s’il a été par-ci par-là moins inspiré, signe avec Split un très bon film où son art de la mise en scène en jette. Il
entraîne le spectateur dans un film de genre très psychologique pour mieux
l’emmener vers un dénouement inattendu.
Barry, ici dans la peau de Patricia (James McAvoy) |
Casey (Anya Taylor-Joy) |
Avec The Visit en 2015, le cinéaste s’était attelé à
un projet aux allures artisanales dans l’esprit de Blair Witch, mettant en scène deux adolescents qui se rendaient
pour la première fois chez leurs grands-parents à la campagne. Filmée comme une
vidéo amateur puisque le film lui-même était censé être réalisé par les ados,
l'histoire contée par Shyamalan inquiétait avec des grands-parents terrifiants qui s’avéraient ne pas
être ceux que l’on croyait. Film d’horreur réussi qui m’avait suivie dans mon
sommeil quelque temps… !
Pour Split, retour à un budget plus
conséquent – 9 millions de dollars – pour explorer d’une toute autre manière son
sujet favori : l’identité et ses aléas. Pour ce faire, quoi de plus
excitant que de s’atteler à l’histoire d’un homme à l’intérieur de qui
cohabitent plusieurs personnages ? Paradoxe insurmontable à
dépasser : si la schizophrénie est souffrance dans la réalité, dans le
monde de la fiction elle se mue en une source infinie de plaisirs de création
et d’interprétation.
Nous allons découvrir
le personnage de Barry, un homme atteint de troubles dissociatifs de l’identité
(TDI). L’acteur James McAvoy se prête au
jeu du changement de personnalité avec un plaisir évident, alternant inconfort
corporel de Hedwig, 9 ans, humour d’institutrice sadique de Patricia, dureté
tout en muscles et en anxiété de Dennis, créativité pour Barry, passionné par
la mode… C’est pas à pas que nous comprenons que tous ces personnages n’en
forment qu’un, l’enfant blessé que fut Kevin Wendell Crumb, malmené dans son enfance. C’est
en effet suite à ce genre de trauma originel que les troubles dissociatifs de
personnalité se manifestent, comme une protection pour la victime qui se réfugie
derrière des personnages plus vivants encore qu’une réalité insupportable.
Tour à tour sous
l’emprise de Dennis, Patricia, Hedwig ou Kevin, Barry est au seuil d’un moment
décisif : celui où une nouvelle personnalité est sur le point de prendre
le contrôle sur les autres. Et bien sûr, elle est loin d’être inoffensive.
Pour nous
accompagner dans cette aventure singulière, rien de tel que de nous faire
adopter le point de vue d’une jeune fille kidnappée par l’animal schizophrène
et sous la menace d’un projet inconnu donc par nature favorable au suspense.
Shyamalan nous
alpague dès les premières minutes avec une séquence inaugurale qui force le
respect. Dans un grand restau sans âme bordé d’un parking tout aussi
impersonnel, Casey, lycéenne, se tient à l’écart de la fête d’anniversaire
d’une camarade. A l’issue du déjeuner, elle accepte poliment la proposition du
père de la jeune fille qui insiste pour la raccompagner. Les minettes et Casey se
dirigent donc vers la voiture, suivies du père au grand cœur. Alors que les deux
copines s’installent à l’arrière de la voiture en gloussant, le père range les
doggy bags dans le coffre et Casey prend place sur le siège passager. Dès lors,
c’est à travers son regard noir et inquiet scrutant le rétroviseur que nous est
relatée la suite décisive. Ou plus exactement que notre imagination est sollicitée
face à des faits que nous nous contentons de déduire… Tout le savoir-faire de
Shyamalan est illustré dans cette scène où rythme et montage sont au service de
l’action. Il storyboarde tous ses films, le résultat est là ! A l’issue de
cette scène s’installe au volant non le père mais un étranger silencieux,
Dennis. Entre lui et Casey, est échangé un regard intense loin de l’hystérie
des filles à l’arrière. Regard qui préfigure une relation complexe et complice
entre prisonnière et geôlier. En effet, si les trois filles sont bien kidnappées
et séquestrées, c’est la relation entre Casey et Barry/Dennis/Hedwig qui sera centrale.
Casey, au
contraire de ses camarades affolées qui ont du mal à faire fonctionner leur
cerveau, appréhende progressivement son geôlier Dennis en gardant en tête son
objectif : s’enfuir. De courts flash-backs illustrent l’enfance de Casey
dont le père, chasseur, lui a enseigné l’art
d’attendre sa proie avant d’armer son fusil. Observer d’abord, agir ensuite. A
l’instar de Casey, nous sommes dans l’attente de comprendre ce que Kevin veut
faire de ses captives. Mais nous disposons aussi d’un peu d’avance sur elle –
plaisir bien connu de spectateur - puisque nous assistons également aux scènes
que Dennis/Barry vit à l’extérieur de sa planque : ses séances chez sa
psy. Ainsi, nous pouvons mesurer toute la gravité de son cas…
Alternant
scènes chez le Docteur Fletcher riches d’informations sur les troubles du
patient fréquentable Barry, et scènes dans la planque labyrinthique du
kidnappeur Dennis, le film tire savamment les fils de l’intrigue pour les faire
converger. Plus nous en savons sur Kevin-Dennis-Patricia-Hedwig-Barry, plus le
danger se précise pour Casey retenue prisonnière, et plus la psy tente
d’empêcher un drame qu’elle pressent mais dont elle ne connaît pas la nature.
Casey, Dr. Fletcher et le spectateur disposent donc d’informations qui se
complèteraient pour empêcher le pire mais qui, isolées, restent impuissantes.
La tension
progresse ainsi deux heures durant, nous confrontant à une action démultipliée par
le principe même des personnalités distinctes du héros. On tremble face à un danger
qui ne révèle pas son nom, manœuvre habile de l’auteur qui remplit brillamment
son objectif : nous terroriser par l’inconnu. Jusqu’à nous mener à un
dénouement étonnant par sa dimension fantastique mais ordonné, apportant les
dernières pièces au puzzle. Un très bon Shyamalan !