Avant même la
sortie du film sur nos écrans, le buzz a été tel sur la toile que quelques
critiques aigris se sont bien sûr sentis obligés de faire la fine bouche et de
conclure avec l'éternel « beaucoup de bruit pour rien ». On rêve… Et
bien le bruit, parlons-en. Le son plus exactement.
Gravity propose non seulement des images à couper le souffle, nous
faisant vivre une expérience cinématographique hors norme et très intense, mais
propose aussi un travail fascinant sur le son. Les cinéastes, selon leur
propos, peuvent jouer avec le son avec plus ou moins d’insistance. C’est ainsi que
dans un tout autre genre, Sur mes lèvres
de Jacques Audiard avait exploré cette piste via son héroïne, sourde mais
appareillée, nous plongeant comme elle dans un monde où la perception sonore
modifiait les sensations. Tour à tour, les impressions de silence, d’isolement
ou au contraire de violence extrême donnaient aux événements une tout autre
dimension.
Dans Gravity, le son est un personnage à part
entière ; dès la première scène, différents niveaux sonores nous plongent
dans l’espace : liaison radio avec la Terre, fond de musique country
qu’écoute le très détendu George Clooney, voix plus tremblante de Sandra
Bullock loin d’être habituée aux conditions de vie des cosmonautes, et le
silence, immense, qui les environne, à 600 kilomètres de la
Terre. Aux perceptions visuelles inouïes que les caméras-robots de Cuarón –
bras souples et puissants – ont permis dans des plans séquence vertigineux, le travail
sur le son nous immerge dans l’aventure de l’apesanteur. Car très vite, Bullock
sera la seule rescapée, perdue dans ce vide intersidéral, et n’aura pour seul
compagnon que ce silence. L’expérience sensorielle à laquelle Cuarón nous
invite est une épreuve émotionnelle et sensorielle de bout en bout, car au
silence effrayant succèdent par endroits des explosions, désintégrations et chutes
sans fin dans le vide spatial, accentuées par une musique vrombissante qui
participe du contraste et nous met en tension. Le cinéaste souhaitait que le
suspense nous scotche à notre fauteuil de bout en bout, je confirme !
Paradoxe de ce
réalisme spectaculaire auquel est parvenu Cuarón, l’enchaînement de péripéties
pour la cosmonaute Bullock est lui, peu crédible, mais cela n’a aucune
importance ! Le scénario est celui d’un film catastrophe, confrontant son
héroïne à des obstacles toujours plus difficiles à surmonter pour qu’à l’issue
de cette journée cauchemardesque, elle s’en tire. Peu importe qu’une telle
aventure ne puisse avoir lieu dans la réalité, c’est l’occasion d’un spectacle
de toute beauté et d’une réflexion sur l’instinct de survie, les forces
décuplées que l’on peut trouver en soi… « Ne rien lâcher » comme dit
l’accroche de l’affiche, est par instant la condition obligatoire pour ne pas
mourir quand au rebondissement suivant, savoir lâcher sera le seul moyen de ne
pas sombrer définitivement dans le noir de l’espace… Nombre de métaphores sont
possibles à la lecture du film, des plus scientifiques (danger des engins spatiaux et de leurs débris-déchets qui gravitent dans l'espace) aux plus métaphysiques.
Dernier point
enfin : à ce niveau d’ingénierie technique – une actrice enfermée dans une
boîte jouant seule ou presque face à des caméras programmées, entourée de leds
dans un décor qu’elle doit imaginer de A à Z – je me surprends à être tout
aussi émue que devant des films plus anciens, aux procédés cinématographiques
plus artisanaux voire bricolés (c’est une fan de Cocteau qui vous parle). Dans les
deux cas, le même entêtement d’un artiste à vouloir donner vie à son idée. Elle
ne paraît pas réalisable compte tenu de l’état des techniques actuelles ? On
inventera, on s’inspirera d’un prédécesseur comme James Cameron qui a ouvert la
voie avec son Avatar, on innovera. Une
énergie, une foi, une obsession guident ces artistes qui parviendront à donner vie
à un projet qui paraissait impossible. Peu de défis résistent à la passion de
ces cinéastes têtus, grands chefs de mission.