Black Mirror est une série britannique
qui a démarré en 2011. La troisième saison produite par Netflix est en cours de diffusion au Royaume-Uni. Avec un sens aigu de la satire sociale et
un culot comme seuls les Anglais en sont capables, elle analyse comment la
technologie tout écran (comprenez le miroir
noir du titre) nous unit à elle, et pour le pire plus que pour le
meilleur.
Chaque
épisode, indépendant, situe son action dans un futur proche indéfini ; le look
des protagonistes comme les décors ressemblent à ceux de notre époque et seuls
quelques détails apparaissant au fil de la narration nous signaleront que nous
ne sommes pas exactement de nos jours (maisons ultra modernes, voitures rétro,
télécommandes spécifiques…). Pour vous donner une idée du mordant du propos, il
suffit d’évoquer le sujet du premier épisode de la saison 1 intitulé Hymne national. Au petit matin, un homme est réveillé par un coup
de téléphone suffisamment alarmant pour qu’il saute du lit illico. On le
retrouve en pyjama dans un beau bureau lambrissé entouré de conseillers qui lui
servent du « Monsieur le Premier ministre ». Tous les regards sont
tournés vers un écran plasma : dans une vidéo, l’équivalent de la
princesse Kate est en larmes, les cheveux en bataille. Elle annonce entre deux
sanglots avoir été kidnappée. Elle est la tragique messagère d’un chantage qui
concerne très directement le Premier ministre. Elle sera tuée à 16h ce même
jour s’il n’accepte pas, en direct sur la chaîne nationale et sans trucage, de
faire l’amour à un cochon… Oui, un porc, une truie pour être exacte ! Vous
imaginez qu’à la stupeur du ministre succède le sourire incrédule puis la
gravité requise puisque ce n’est pas une blague. La vie de la princesse est
entre ses mains et l’info, damn it! a
déjà fuité sur les réseaux sociaux : quoi qu’il fasse il sera donc décrédibilisé,
perçu comme un criminel coupable d’égoïsme ou comme un monstre zoophile. Bref,
où qu’il regarde il est perdant, mais sa responsabilité est engagée. En voilà
un dilemme politique moderne ! Je vous laisse découvrir la suite qui vaut
le détour, interrogeant avec malice la fascination monstrueuse dont des
citoyens sont capables du moment que c’est du jamais vu, qu’une vie est en jeu
et qu’on plaint autant qu’on déteste l’homme puissant mis en difficulté… Grande
richesse d’écriture donc, servie par une mise en scène sobre et élégante,
parfait contrepoint au propos crade et déjanté.
Quant à
l’épisode 3 Une histoire complète de toi,
il est tout aussi génial. Entre quelques personnages va se dérouler un grand
drame où la technologie apportera la vérité jusqu’ici si bien cachée par les
hommes. Imaginez que chacun soit équipé d’un « grain » dans la nuque,
soit une puce magique greffée sous la peau qui enregistre la moindre scène de votre
vie. Muni de votre télécommande personnelle, vous pouvez vous rediffuser
mentalement tout instant de votre existence et vérifier ainsi le bien fondé de
vos impressions. Mieux encore, vous pouvez projeter sur n’importe quel écran une
scène de votre Histoire et la faire visionner aux autres, ou regarder
l’Histoire de quiconque de votre entourage. Ainsi devient-il possible de vivre
une action tout en se remémorant une plus ancienne si elle est plus agréable, d’analyser
le lendemain d’un entretien le faux-sourire que le recruteur a ébauché avant de
vous congédier, de zoomer sur un détail dont vous doutez mais qui, une fois
précisé, ferait toute la différence…. La liste est infinie. Ce « grain »
enregistreur ne laisse plus de place au doute ou à la mésinterprétation. Il
montre les faits. Il détient la vérité indiscutable. Il ne divague pas, lui,
contrairement à notre pauvre cerveau sensible assisté d’une mémoire défaillante
et sélective, qui à partir d’un détail peut construire une histoire complexe
sujette à interprétations variables. Nul doute que cette super technologie va
nous rendre la vie plus facile ! Il n’y a qu’à observer combien les
smartphones sont déjà capables de rendre la vie au foyer plus harmonieuse et
non de semer la zizanie... Alors une vidéo intégrée et disponible qui sait absolument
tout, pensez donc ! Voici la porte ouverte à une vérité qui se cacherait
dans les détails. Sommes-nous prêts à l’affronter ?
Sur cette
trame passionnante, le scénariste Jesse Armstrong élabore une histoire à la
mécanique parfaite qui questionne notre libre arbitre comme notre capacité de
jugement. Avec Black Mirror, une
chose est sûre : nous voilà acteurs face à notre écran, happés par des questionnements
existentiels d’une profondeur supérieure à la 3D.