Depuis la
diffusion de sa première saison en 2015, je m’interroge : Better Call Saul est-elle exclusivement
regardée par les fans de Breaking Bad dont
elle est le spin-off ? Ou a-t-elle
attiré aussi ceux qui n’ont pas tremblé avec Walter White ? Vous me direz « peu
importe ». Je réponds « oui et non ». Parce que si le plaisir
est sans aucun doute décuplé pour un fan de Breaking
Bad, Better Call Saul est d’une
qualité telle qu’elle ravirait tout le monde… Avis aux amateurs.
Pour ma part,
c’est en admiratrice de la création précédente de Vince Gilligan que j’ai
accueilli Better Call Saul dont la
deuxième saison vient de s’achever. J’étais en confiance, forcément. La série se
consacre au personnage de Saul Goodman (épatant Bob Odenkirk), cet avocat haut
en couleurs dans tous les sens du terme, aussi véreux que sensible, d’une
éloquence bien à lui, casant çà et là des expressions en français ou en italien comme
d’autres French citent des termes anglais à tout bout de champ pour se donner
un genre… Un charme fou ce Saul Goodman, un personnage original et attachant.
Dans Breaking Bad, il n’existait que
dans sa fonction d’avocat de White. Et il en a traversé des épreuves avec son
client. Il lui en a sauvé des coups…
Better
Call Saul, c’est le brillant projet de nous raconter la vie de Saul Goodman
du temps où il s’appelait Jimmy McGill, soit quelques années avant sa rencontre avec White dans Breaking
Bad. L’occasion de comprendre comment il est devenu l’avocat dédié des gens
pauvres – ça c’est pour la vitrine – mais surtout l’intermédiaire et avocat
d’un gangster comme White. Un avocat talentueux qui, sous ses faux airs de clown à côté de la plaque, en a sous le pied : il peut faire disparaître un
individu en danger de mort et lui faire changer d’identité, il possède autant
de téléphones portables dans son tiroir que de plans B, et il peut aller
jusqu’à empoisonner un gamin innocent pour servir le plan machiavélique de son
client... Saul est un personnage complexe comme Vince Gilligan sait les écrire.
En s’intéressant à la genèse de Saul Goodman, il nous embarque dans un chemin
de vie, un parcours qui était loin d’être tout tracé mais qui mène Jimmy McGill,
inéluctablement, vers son destin de Saul Goodman. Une analyse d’une extrême
finesse de ce qui modèle un homme, de ce qui le blesse et l’endurcit, de ce qui
le pousse à faire certains choix… C’est une ambition de taille que de vouloir rendre
compte de cette complexité-là mais une nouvelle fois Vince Gilligan, aidé de
Peter Gould qui avait créé le personnage de Goodman pour Breaking Bad, y parvient avec une déconcertante facilité.
Ainsi, nous
découvrons que Jimmy a toujours été un roublard, un arnaqueur à la petite
semaine fort habile, aux idées aussi saugrenues qu’intelligentes. Enfant déjà,
il a été le témoin impuissant d’un père au grand cœur qui se faisait rouler
tout le temps. Plein d’affection pour ce père faible, il tire une leçon
rapidement : mieux vaut rouler que de se faire rouler.
Et mieux vaut être à jour pour lire la suite de cet article.
Si Jimmy opte
pour les arnaques où il excelle, c’est sous les yeux de son frère aîné Chuck
qui est tout son opposé : sérieux, avocat renommé mais ennuyeux, ne
séduisant pas les femmes et n’étant jamais le préféré. Parce que Jimmy est le
préféré, toujours, son charme opérant à chaque fois. Chuck troque alors sa jalousie
maladive pour du mépris. Sous couvert de protéger son cadet et de tenter de le
ramener régulièrement sur le droit chemin, il le rabaisse et va jusqu’à semer
sa route d’embûches pour le neutraliser. Quoi de pire en effet qu’un lien fraternel gangréné par la frustration et qui se mue en jalousie haineuse ?
Malheureusement pour Jimmy, Chuck est son talon d’Achille. Ne pouvant affronter
une réalité aussi cruelle, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour gagner
l’estime du grand Chuck. Voilà pour les antécédents familiaux distillés à doses
homéopathiques dans ces deux premières saisons et grâce auxquels se dessine le
caractère de Jimmy. A travers ces éléments, Gilligan rappelle combien l’enfance, la famille
sont fondatrices. Loin de s’appuyer sur une psychologie freudienne primaire, il
garde le cap et fait avancer l’intrigue en semant par petites touches ces ingrédients
du passé pour mettre en lumière le fonctionnement présent de Jimmy. Un type
loyal qui n’hésite pas à utiliser des méthodes discutables mais pour servir les
intérêts de ceux qui ont été loyaux aussi. Ainsi renvoit-il l’ascenseur à Mike
(Jonathan Banks), gardien de parking et papy flingueur, parce qu’il lui doit
une fière chandelle. Quitte à s'entourer de quelques mauvaises fréquentations...
Au fil des deux
saisons, on savoure l’élaboration progressive du futur carnet d’adresses
dont Saul Goodman saura user le moment venu pour White : le clan Salamanca
(Nacho comme le tonton encore sur ses
deux jambes), et le grand Mike, fil qui nous conduira sans doute vers Gustavo
Fring ? Enfin, si la vie amoureuse de Saul Goodman était inexistante dans Breaking Bad, ici Jimmy en pince pour
Kim Waxler (Rhea Seehorn), brillante avocate à la loyauté sans faille que les méthodes
de Jimmy inquiètent autant qu’elles la fascinent. Le mystère reste entier en
cette fin de deuxième saison : Kim va sortir de la vie de Jimmy, c’est
sûr, mais dans des circonstances pour l'heure inconnues. Et dramatiques, on le
pressent…
Difficile de
ne pas établir de comparaison entre Better
Call Saul et Breaking Bad. Au-delà
de leurs personnages, des points communs sont notables : la mise en scène stylée,
la lumière d’Albuquerque, les trouvailles de la BO, les mécanismes d’horlogerie
du scénario, la passionnante psychologie des personnages… et cet art du cliffanger sadique ! Pour autant,
comme le disait un fin cinéphile de ma connaissance, la différence majeure réside
dans le rythme de narration, car le temps des avocats n’est pas celui des
gangsters. Ainsi, c’est patiemment, minutieusement que les enjeux se dessinent.
Comme un avocat passerait des heures à éplucher les éléments d’un dossier avant
sa plaidoirie, c’est étape par étape que Better
Call Saul avance ses pièces. Plusieurs fois, on suit un personnage mettre
en place ce qui nous semble un plan sans pouvoir en déceler pourtant la
stratégie. On est suspendu à la suite, parfois pendant un épisode complet ou
plus, les nerfs en vrac… Et comme toujours avec Gilligan, lorsque l’objet de la
stratégie se révèle enfin, on est bluffé. Sûr que Gilligan et ses auteurs se
plaisent à exploiter le principe de spin-off
qui, par nature, fait trépigner le spectateur qui croit avoir une longueur
d’avance. Une série qui s’ingénie à nous manipuler avec une telle délectation,
décidément, ça se respecte. Presque un an avant de pouvoir découvrir la saison
3… ça va être très, très long.