Tarantino a orchestré la
sortie de son nouveau film à grand renfort de mise en scène, pour
ne pas dire de coquetterie cinéphile. Il a tourné en pellicule 70 mm
Panavision ce qui ne se fait plus depuis 1966, requérant des salles
de cinéma devenues rarissimes pour ce type de projection, et il fait
voyager l'unique bobine sacrée dans un ordre bien défini. Dans le
même esprit, Ennio Morricone a repris du service et signé la BO
avec un thème digne d'autres de ses chefs-d’œuvre. Ouverture
musicale grandiose, entracte, reprise avec voix off prenant en compte
la petite pause. Et enfin 8 minutes supplémentaires offertes au
spectateur qui aura joué le jeu ! Des détracteurs du film
parlent de fétichisme avec ce 8 qui revient aussi dans le titre du
huitième film de l'auteur et qui apparemment agace... Fétichisme ou
hommage à son éternel objet d'amour, d'inspiration et d'obsession qu'est le cinéma ?
Ce qui est sûr, c'est que cette mise en œuvre hors du commun semble
desservir la réception du film : la sévérité des critiques
n'est pas étrangère (quoi qu'ils en disent) à la hauteur de leur
attente, immense. Preuve de l'inconfort de la critique néanmoins :
le vide argumentaire perceptible dans les articles qui disent que ça
ne prend pas, que le metteur en scène se répète et tourne en rond
quant à ses sujets de prédilection, que les dialogues ne sont que
bavardages, que le huis clos était utilisé dans Reservoir Dogs,
etc. Des exemples étayés pour appuyer leur sentiment ? Nenni.
Selon moi un élément décisif explique la déception de beaucoup, élément évident au point qu'il n'est finalement précisé nulle part. Les salopards du titre sont tous de vrais pourris. Résultat, l'empathie du spectateur est au point zéro. On se contrefout de leur sort au contraire d'un justicier au grand cœur comme Django pour lequel on tremblait lorsqu'il risquait d'être démasqué par l'immonde Candy. Une émotion de ce type est absente ici par nature. Il reste donc à savourer l'affrontement de nos huit canailles et à changer de grille de lecture. Apparemment, adopter cette posture qui épouse le parti pris même du film n'est pas possible pour tout le monde. Ah ! Pauvres cinéastes victimes de leur talent et placés si haut qu'on ne leur tolère aucune cour de récréation. Et pourquoi pas faire deux westerns de suite construits sur des ressorts dramatiques différents si ça lui chante à Quentin ?
Selon moi un élément décisif explique la déception de beaucoup, élément évident au point qu'il n'est finalement précisé nulle part. Les salopards du titre sont tous de vrais pourris. Résultat, l'empathie du spectateur est au point zéro. On se contrefout de leur sort au contraire d'un justicier au grand cœur comme Django pour lequel on tremblait lorsqu'il risquait d'être démasqué par l'immonde Candy. Une émotion de ce type est absente ici par nature. Il reste donc à savourer l'affrontement de nos huit canailles et à changer de grille de lecture. Apparemment, adopter cette posture qui épouse le parti pris même du film n'est pas possible pour tout le monde. Ah ! Pauvres cinéastes victimes de leur talent et placés si haut qu'on ne leur tolère aucune cour de récréation. Et pourquoi pas faire deux westerns de suite construits sur des ressorts dramatiques différents si ça lui chante à Quentin ?
Deux des huit salopards, Samuel L Jackson et Demian Bichir |
Aurait-on oublié que
Tarantino, s'il est génial, est un cinéaste de
divertissement nourri de pulp fictions des 60's et de westerns
spaghetti ? Depuis ses débuts, qu'il revisite - toujours avec
beaucoup d'intelligence - la série Z, le film de samouraï, le polar
avec flic dépressif et malfrats ringards ou le film historique qui
s'affranchit de la réalité des faits, c'est avant tout le plaisir
du jeu et du spectacle qui fait l'âme de ses films. Son inventivité
se retrouve dans son sens du cadre, du rythme et des répliques y
compris lors de logorrhées verbales devenues mythiques. Dans Les
Huits Salopards, il ne déroge pas à sa règle : nous
amuser. Ici, avec des malfrats qui se prennent pour des caïds et se
défient, c'est donc à celui qui tombera le dernier. Et avec un
suspense propre à la structure du récit en deux parties qui va nous cueillir, à l'instar des personnages dont il expose le point de
vue dans un premier temps. Comme ailleurs dans ses films, l'intrigue
est presque un prétexte pour développer tensions psychologiques,
conflits et comique de situation et nous mener par le bout du nez
presque trois heures durant pour jubiler devant sa science du cinéma.
C'est une tempête de neige qui amène nos huit salopards à
cohabiter. Une diligence fend le blizzard assassin avec à son bord
un chasseur de primes et sa proie, Daisy Domergue, qu'il mène à la potence contre 10 000 dollars. Sur la route
ils croisent deux étrangers : Major Marquis Warren, un ancien
soldat noir devenu chasseur de primes, juché fièrement sur deux
cadavres, puis Chris Mannix, un renégat sudiste qui dit être le
futur shérif de Red Rock. L'essentiel de la première partie est
consacrée à ce voyage où les personnages en présence se défient
et tentent d'en imposer au voisin à coup de mandat d'arrêt ou
de lettre écrite de la main de Lincoln, jusqu'à leur escale forcée dans une
auberge. Sur place, se trouvent déjà un Mexicain tenant la baraque
en l'absence de la patronne, un vieux général confédéré, un
cow-boy et le bourreau de Red Rock. Chacun n'est pas tout à fait
celui qu'il prétend être et ce sera l'enjeu de la deuxième partie
du film. La méfiance s'installe : certains d'entre eux ont leur
tête mise à prix et pourraient rapporter de belles sommes à
leurs compagnons de voyage. Par ailleurs, le contexte post-guerre de
Sécession attise rapidement des tensions puisque tous n'ont pas
combattu du même côté. Tous les éléments sont donc réunis pour
faire monter la sauce et que ça pète. Et à ce jeu-là, Tarantino
excelle.
Coquetterie de la
pellicule argentique peut-être, mais précisons-le tout de suite :
l'image est superbe. Le grain, le son, la lumière renouent
avec une esthétique qu'on ne voit plus depuis le passage au
numérique et qui confère une touche old style en parfaite
adéquation avec le projet hommage de Tarantino qui s'inspire des westerns neigeux et notamment du Grand Silence de
Corbucci réalisé en 68. Pour sûr, les paysages
de glace en plein blizzard sont sublimes et le froid parvient à nous
transpercer les os.
Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) |
Une fois entré dans
l'auberge-mercerie devenue scène de théâtre, Tarantino filme ce
huis clos avec une inventivité renouvelée à chaque plan. Richesse
du découpage, scènes à l'arrière-plan qui confèrent un sens nouveau à l'action du
premier plan, axes de caméra inattendus,
accélération soudaine du rythme du récit qui contraste avec la
première partie en diligence... Rien n'est laissé au hasard. Le
verbe orchestre les rapports entre les personnages et donne le tempo
avant de laisser la place à un carnage bourré d'hémoglobine comme
l'affectionne Tarantino.
En bref, si ce Tarantino
n'est pas le plus inattendu dans l’œuvre du cinéaste, il est
fidèle à l'auteur. Au jeu des conflits naissants parfaitement mis
en place, des pourparlers à n'en plus finir bourrés d'humour et des
retournements de situation avec bang-bang final, il n'y a pas à
tortiller : le spectacle est de taille. En toile de fond, les
thèmes phares de Tarantino : une Amérique divisée par le
racisme, une violence démesurée et ainsi dénoncée qui peut s'exprimer à chaque
instant, une femme malmenée par de grands machos mais ici tout
aussi brutale et vulgaire que ses comparses masculins. Tarantino a
procédé avec un plaisir non dissimulé à un mélange des genres,
combinant enjeux du western, intrigue à la Cluedo et personnages
archétypaux de gangsters sans états d'âme. Un pur divertissement
servi par des acteurs aux rôles sur mesure et une mise en scène exemplaire.
Amateurs de Tarantino : ne boudez pas votre plaisir et allez
vite le voir en salle !