Des films d’Emmanuel Mouret se dégagent un charme, une élégance bien à lui. Caprice, son dernier film, ne fait pas exception et me semble même le plus abouti de son œuvre.
Paris. Un instituteur timide, Clément, un brin maladroit et
étonnamment bien élevé, admire depuis des années la célèbre comédienne de
théâtre Alicia. Alors qu’il vient la voir dans son nouveau spectacle, le hasard
le place à côté de Caprice, une jeune femme délurée qui le drague sans
complexe. C’est la troisième fois qu’ils se retrouvent assis l’un à côté de
l’autre au théâtre, lui rappelle-t-elle. Elle y voit un signe qui les destine
l’un à l’autre.
Clément va avoir la chance de séduire Alicia presque malgré
lui et il devient son compagnon. C’est presque trop beau pour être vrai puisque
même en rêve, Clément n’aurait jamais cru vivre une histoire d’amour avec une
telle icône. Sauf que lui-même est devenu le rêve de Caprice, débordante
d’amour et un brin névrosée qui le suit à la trace, convaincue que "le
cœur est élastique" et qu’il y a de la place pour plusieurs. Pour
Clément, théoriquement comblé, c’est le début de la valse du cœur.
L’instituteur s’interroge sur le trouble qui le traverse. Et pendant ce temps,
Alicia se rapproche du meilleur ami de Clément, Thomas, qui depuis que son ami
a rencontré au sens propre la femme de ses rêves, a donc laissé partir la
sienne… Car après tout, pourquoi lui aussi ne pourrait-il pas vivre avec son idéal de femme ?
Sur cette trame, Mouret développe avec un sens aigu du
rythme et des situations burlesques un marivaudage des plus charmants. Chez
Mouret, les personnages ne parlent pas tout à fait comme dans le quotidien. Les
dialogues sont à la fois poétiques et décalés et inscrivent les personnages
dans une bulle littéraire et délicate. Pétris de bonnes intentions, les uns et
les autres ne veulent pas blesser, respectent l’amitié, se préoccupent des
sentiments d’autrui, manquent un peu de courage… le tout les conduisant à vivre
les situations avec retenue, certes, mais à les vivre. Les caprices du cœur
sont en question. Choisit-on son partenaire ou se laisse-t-on choisir ?
Que veut dire aimer ? Jusqu’à quel point doit-on être transparent sur
les sentiments qui nous animent ? Dans quelle mesure le hasard souffle sur ce que nous croyons être nos décisions ? Toutes ces questions sont en pointillés dans le film,
illustrées avec une légèreté vivifiante.
L’écriture est fluide et le comique fonctionne parfaitement
car le cinéaste maîtrise le rythme, un art difficile dans la comédie. Ainsi la
rencontre Clément-Alicia est-elle un modèle de tempo. Appelé sans savoir
pourquoi dans le bureau du directeur de l’école où il enseigne, Clément est
naturellement en pleine séance de peinture avec ses élèves et vient de tremper
ses deux mains dans des bacs de couleur ! C’est donc avec les mains lavées à la
va-vite et encore teintées qu’il sert la main divine de l’actrice Alicia, toute
de blanc vêtue, venue pour lui demander d’aider son neveu à faire ses devoirs.
Le trouble de Clément, doublé de celui du directeur qui n’est autre que son ami
Thomas, s’illustre à travers la difficulté à trouver un stylo qui marche pour y
inscrire ses coordonnées. Alicia n’affiche aucune supériorité de star ; amusée, elle est d’une
patience d’ange pendant que les deux hommes se disputent discrètement pour
finalement lui tendre le papier griffonné. Cette scène est une réussite, comme
tant d’autres dans le film, en raison d’un montage idéal. Alliée à des
situations originales, l’écriture cinématographique de Mouret se déploie tout au long du
film avec subtilité : l’image raconte autant que les dialogues, et sans
jamais appuyer le trait, une information glissée plus tôt sert naturellement
notre réception de ce qui se joue plus tard dans les réactions des personnages. Les attitudes policées de Clément, Alicia et Thomas distillent douceur et calme malgré leurs questionnements intérieurs et contrastent avec la tornade qu'incarne Caprice la bien nommée. Les scènes dans lesquelles elle apparaît et sème la pagaille avec son amour irraisonné sont à son image, plus nerveuses. Le tout composant une valse sentimentale en accord avec ce délicieux Caprice.