Grand, grand
coup de cœur pour Eric Judor et sa série ovni Platane ! Surtout sa saison 2 diffusée à l’automne dernier sur
Canal +. Pour moi Eric Judor c’était une moitié du couple Eric et Ramzy ; leur duo respirait une telle complicité
que leur humour, même un peu ras les pâquerettes, me les rendait
sympathiques, mais leur personnage adoré de « gogol » me faisait un
peu sourire, pas plus. Le temps passe, les succès cinéma (La Tour Montparnasse infernale) alternent avec les bides (Les Dalton) et les inséparables décident
de tracer leur route chacun de leur côté histoire de se renouveler. C’est dans
ce contexte que naît en 2011 la première saison de Platane créée par Eric Judor. Et là, c’est un comique très original
qui surgit, un comique qui, derrière la légèreté délirante des scènes, aborde
pas mal de sujets intéressants, avec beaucoup d’intelligence. Je m’explique.
Judor se livre
à l’exercice d’un faux autoportrait. Dans la saison 1 de Platane, il endossait le rôle d’Eric Judor du duo Eric et Ramzy qui
percutait un platane en voiture puis restait un bon moment dans le coma pour
découvrir à son réveil que le monde avait continué de tourner sans lui, et notamment
son complice Ramzy. Dégoûté de ne pas être irremplaçable, il se lançait alors
dans une carrière de cinéaste de film d’auteur et ce, non sans difficulté.
C’était déjà l’occasion d’une satire du milieu télévisuel et cinématographique :
les producteurs bidons comme Eric Judor qui n’a pas d’expérience mais qui a
l’arrogance de tout savoir alors qu’il ne contrôle pas grand-chose de son
projet, les chaînes de télé qui portent aux nues un artiste pour l’ignorer
totalement l’année suivante, la mégalomanie des réalisateurs et acteurs, les
people qu’on croit sympas mais qui ne passent plus les portes, le public ingrat
qui prend toujours Eric pour Ramzy … Une toile de fond très parisienne au ton
déjà gonflé avec en son cœur un Eric qui ressemblait au vrai Eric de la vie
mais aussi à un personnage de fiction.
Même combat
dans la saison 2, les frontières se brouillent, permettant à Judor de rire de
lui comme de son personnage sans que l’on sache bien distinguer la fiction de
la biographie. Avec ce principe du faux autoportrait, il se permet un peu près
tout. Le personnage d’Eric est la mauvaise foi incarnée, son ego en a pris un
coup donc il veut être pris au sérieux et respecté seulement voilà, c’est Monsieur
Gaffe. Son flot verbal est la source d’une drôlerie répétée car il s’embrouille
en permanence : à peine a-t-il affreusement choqué son interlocuteur tout déconcerté
qu’il tente de se rattraper, enchaînant excuses maladroites, mauvaise foi,
histoires à dormir debout pour se justifier et tenter de récupérer la
bienveillance de l’autre… Et ainsi les malentendus s’enchaînent : il
froisse la plupart de son entourage, veut toujours bien faire tout en se tirant
régulièrement une balle dans le pied, provoquant rebondissement sur
rebondissement qui le mènent à… la catastrophe. Le mélange de naïveté presque
infantile à la fausse prétention du personnage est un fondement du comique qui rend
Eric très sympathique malgré tous ses faux-pas, touchant aussi, gagnant donc rapidement
notre complicité.
Dans la saison
2, Eric n’a pas changé mais le décor, oui. Une ellipse a eu lieu depuis la
projection de son film La Môme 2.0 en
fin de saison 1, projection qui laissait supposer son échec en tant que
cinéaste de films d’auteur… En début de saison 2, on le retrouve exilé dans le
Nord canadien depuis un an, vivant avec Diane qui confectionne des bottes en
peau de renne et le fils de celle-ci, Paul, un ado surdoué plus mature avec ses
treize ans qu’Eric avec ses quarante. Tout aussi décalé dans le monde des
indiens bûcherons à la mystique ancestrale que dans celui des cinéastes
sérieux, Eric a l’air de se porter pas trop mal dans sa nouvelle vie quand la
mort accidentelle de ses parents le rappelle à Paris... enfin pour être précise,
à Montigny. Accompagné de sa femme Diane et de Paul, le voilà confronté au deuil
de ses parents égoïstes et aussi à leurs énormes dettes ! Il est donc
contraint d’accepter la proposition faite un peu plus tôt par Ramzy, à savoir
tourner la suite de La Tour Montparnasse
infernale le temps de toucher un gros chèque avant de repartir pour le
Canada. Mais rien ne va se passer comme prévu, grâce à son incomparable talent
de semeur de trouble.
C’est même une
sorte de parcours du combattant qui attend Eric : installé dans la maison
parentale à Montigny, son couple connaît la crise, il souffre d’une cataracte
grave, Guillaume Canet comme d’autres cinéastes à succès le méprisent plus que
jamais, ses retrouvailles avec Ramzy sont houleuses, il veut faire un enfant à
sa compagne mais n’y arrive pas… le tout sur fond de deuil des parents, problèmes
financiers et doute de l’artiste qui ne sait plus ce qu’il vaut comme acteur. A
travers nombre de rebondissements, des thématiques politiquement incorrectes
sont traitées avec un art du burlesque irrésistible (enfants handicapés, racisme,
psychanalyse de couple, partouze, meurtre d’animaux, croyance vaudoue…) Ainsi
Eric se plaît à dépasser les bornes mais toujours un peu malgré lui ce qui le
rend pardonnable et attachant, et puis quoi de mieux que les défauts, les siens
d’abord puis ceux des autres pour faire une comédie ? Ci-dessous, l’exemple
d’un épisode révélateur de la mécanique narrative délirante utilisée par Eric Judor.
Eric veut
faire un cadeau original à Paul, son
« presque fils » comme il l’appelle. Son ex-compagne Diane le vexe,
convaincue qu’il n’a naturellement rien prévu de spécial pour l’événement. Eric
de se défendre, mais… bien sûr qu’il a prévu une surprise, et une sacrée
surprise même! Et là c’est évidemment l’impro totale : invité au Petit
journal de Barthès pour la promo de la Tour infernale 2 il se prend le bec en
direct avec son acolyte Ramzy (je vous laisserai découvrir pourquoi). Il
course alors Ramzy dans les loges pour lui casser la gueule et s’en prend à une
porte fermée, se blessant la main. L’affrontement a ému un vigile du plateau
télé qui est en réalité un ancien voyou à la gâchette facile prêt à tout pour venger
Eric de l’affront de Ramzy. Après être passé à l’hôpital pour sa main blessée, Eric avise un sans abri qui a des chiens dont l’un est très mignon,
il négocie et l’achète au SDF. Le chien est bourré de puces (bien sûr) et
s’avère très agressif, mordant Eric à la main. Eric enferme donc l’animal dans
le garage. Retour à l’hosto pour soigner la morsure. Avec ses deux mains
bandées, difficile de conduire, il fait donc appel au vigile au grand cœur Dédé
qui lui avait laissé sa carte dans le cas où il voudrait régler son compte à
Ramzy le traître. Eric l’appelle, lui confie son problème de cadeau
d’anniversaire, Dédé a la solution et promet de revenir le soir même : il
ramène Bob Sinclar himself qui s’engage, sous la menace de Dédé, à faire le DJ
le lendemain pour l’anniversaire de Paul…
La mécanique est imparable
« l’enfer étant pavé de bonnes intentions ». Eric a sa part de
responsabilité mais la dynamique des événements est plus forte que lui,
incarnée ici en la personne de Dédé sur qui il n’a aucun contrôle. Résultat des
courses : le lendemain Sinclar mixe devant le garage où le chien hurle
tandis qu’à l’étage Eric, impuissant avec ses deux mains bandées, tente en vain
d’ouvrir la fenêtre pour prévenir le célèbre DJ du danger car il vient d’apprendre
qu’il a contracté la rage !
Plusieurs personnalités du milieu
people se sont prêtés au jeu de la participation en guests dans la série,
jouant leur propre rôle - faux propre rôle si vous avez suivi - à cela près
qu’ils sont pour la plupart prétentieux et méprisants. Mention spéciale à
Dujardin vraiment très drôle en auteur d’un nouveau Zorro plus ringard que
jamais.
Du Canada aux
Antilles où Eric effectuera un retour aux sources, épinglant au passage le
rapport de force entre Guadeloupéens et Français de la métropole, Platane vous fera rire du grave comme du
léger, en s’appuyant sur un comique de situation hérité des Marx Brothers et autres
grands du burlesque car Judor connaît ses classiques… Cette saison 2 de Platane est un souffle nouveau sur le
genre de la comédie et confirme qu’Eric Judor est bourré de talent.
PS : le lien vers le très drôle teaser
de la série :
http://www.programme-tv.net/news/series-tv/42433-eric-judor-teaser-hilarant-retour-platane-canalplus/
Comment Eric en est arrivé là en saison 2...? |