Je reconnais
d’immenses qualités au Centquatre : un lieu de vie polymorphe dédié à
l’art, où il y a de la place pour tous les talents et toutes les identités.
Expositions, théâtre, concerts, ateliers d’artistes en résidence… Cafétéria
pleine de magazines à disposition, chaises longues parsemées sur
le site, garderie équipée, superbe librairie…. Ici, spontanément, les artistes amateurs du quartier ou non, viennent en toute liberté danser, répéter leurs
chorégraphies de breakdance, leurs passes de jongleurs ou leurs postures de
yoga hongrois. Un joyeux bordel sonore où les musiques des uns viennent flirter
avec celles des autres. Certains choisissent les couloirs éclairés de spots
rouges qui confèrent l’ambiance underground qui leur va bien,
d’autres jeunes femmes vêtues de leggings et chaussées de baskets dernier cri perfectionnent
leurs mouvements en observant leur reflet dans d’immenses vitrages qui font
office de glaces comme dans les studios de danse. Le tout gratis. Le tout pour
le bonheur des passants comme vous et moi qui s’émerveillent d’assister à ces
entraînements en direct, telles des petites souris indiscrètes à qui on ne
rappelle jamais d’un regard en coin qu’elles perturbent le work in process. Certes, les ateliers d’artistes, eux, sont plus
compliqués d’accès, pas ouverts en permanence, mais l’idée est là. Voilà bien
un Centre culturel grand ouvert à tous, et très vivant. Un principe vraiment
louable à Paris.
Honneur
est donc fait aux jeunes talents. Dans ce contexte, Jeune Création fêtait ces
jours-ci sa 65ème édition. Comme le décrit le site du Centquatre, « Jeune Création, laboratoire de
pensée et d’idées, décloisonne les pratiques au travers d’une programmation à
la frontière des genres et des formats. Véritable lieu de rencontres et
d’échanges, Jeune Création est un rendez-vous annuel incontournable de repérage
et d’exploration pour les professionnels et les amateurs. » Ce « laboratoire de pensée et d’idées »
m’a décontenancée. Je m’interroge sur la dimension artistique
de ce que j’ai vu.
Je ne débattrai
pas de la question du beau que l’on est susceptible de rechercher dans une
œuvre d’art, définition trop aléatoire et changeante. Mais au moins du principe de toute
recherche artistique. Telle que j’ai été éduquée à l’art à travers
l’exploration de pistes aussi variées que celles des arts premiers, de Rembrandt,
Richard Serra ou Jeff Koons, j’ai eu pour habitude de percevoir une idée, un
propos, une émotion, une histoire que l’œuvre seule tentait de me transmettre.
Que j’y sois sensible ou pas, c’est l’œuvre et son support qui, en dehors de
toute explication ou décryptage analytique, tenaient un langage et venaient à
ma rencontre.
Ce que je discute dans les œuvres
exposées dans cette édition 2014 de Jeune Création, c’est que pas un seul
travail n’est évocateur en lui-même. Ne seraient les textes épinglés au mur
qui, dans un descriptif pompeux typique de certains critiques d’art, tentent de
décrire la démarche de l’artiste, je n’aurais perçu aucun propos, aucune idée
maîtresse pour chaque travail. Pour beaucoup de ces artistes, ce n’est plus le
travail sur la matière (peinture, acier, bois, résine, eau, tissus, vidéo, sons,
etc.) qui commande l’œuvre. Les matériaux sont bruts et ils sont disposés dans
l’espace visuel ou sonore dans cette pratique de l’installation ou de la
performance qui sont sensées faire sens, faire tourner nos méninges, nous
interroger sur la société, nous mettre en garde contre un monde devenu nocif dont
on cherche à sortir par la réflexion, le retour à l’enfance, le questionnement
des origines… Le problème c’est que l’œuvre ainsi mise en scène ne parle pas
d’elle-même. Pas étonnant que les artistes triés sur le volet pour cette
édition – une cinquantaine de projets retenus sur près de 3 000 dossiers –
soient présents pour expliquer au spectateur leur travail. L’un deux, lauréat
d’un prix, me confiait d’ailleurs qu’il regrettait que les gens ne lisent pas
plus souvent le texte accompagnant son installation, raison pour laquelle il
était là une bonne partie de la journée pour expliquer son travail au public… Aveu
bien malgré lui que l’installation à proprement dit ne véhicule pas toute seule
une idée suffisante. Je n’ai rien contre le hors-texte ; bien fait, il
vient souvent éclairer notre impression, préciser un contexte ou une biographie, nourrir notre réflexion en nous renseignant sur la démarche de
l’artiste. Mais quand, sans le discours joint, l’œuvre reste muette, alors il
me semble que le travail artistique ne remplit pas sa fonction. D’autant que
l’émotion, autre réponse spontanée du spectateur, se fait de plus en
plus rare en raison de ces matériaux que la main de l’artiste n’a ni domptés ni
modifiés. Conclusion : soit je n’ai rien compris, soit il n’y a
pas grand-chose à comprendre dans cette offre culturelle pourtant très en
vogue.
Pour vous faire votre idée : http://www.jeunecreation.org/jeune-creation-2014/artistes/