Bien loin de
la polémique autour du mariage pour tous à laquelle des commentateurs ont
tenté de raccrocher le film distingué par la Palme d'Or, La vie
d’Adèle est avant tout une magnifique histoire d’amour prônant la liberté de la jeunesse dont je suis sortie
comme sonnée.
En osmose avec les
sentiments de sa jeune héroïne, Adèle, une lycéenne de caractère mais dotée
d’une fragilité propre à l’âge de toutes les attentes et de tous les idéaux, Abdellatif Kechiche nous plonge dans la vérité des sentiments les plus purs et les plus
beaux qui soient : ceux du premier amour, jalon essentiel de la
construction de soi, vécu avec une personne plus mûre – ici une femme peintre
aux cheveux bleus, Emma, lesbienne affirmée. Adèle a un coup de foudre et face
à ce bouleversement intérieur, elle ne peut que suivre son désir, si fort, et
n’être toute entière plus que sentiments à l’état pur. La caméra de Kechiche
capte avec un art qui n’appartient qu’à lui les émotions d’Adèle, tout ce qui
la traverse. Elle aime, pour la première fois, et qui plus est une femme quand
ses copines de lycée tentent à tout prix de la caser avec le beau mec du
secteur. Face à cette tornade qui l'envahit, elle vibre, vit de tout son être l’aventure qui
lui est offerte, avec sa liberté de jeune femme qui fait fi du regard des autres.
Le désir est dans toutes les
images, dans les silences ponctués de sourires, dans les regards échangés entre
Emma et Adèle, dans un rayon de soleil qui ponctue leurs baisers échangés dans
le parc et dans des scènes d’amour où la dévoration mutuelle illustre la
passion dans sa version la plus brûlante et la plus authentique. Le langage des
corps, sa crudité, sa beauté, son évidence éclatent dans des scènes filmées au
plus près de l’intimité des deux jeunes femmes. Leurs corps s’emboîtent, leurs
bouches se cherchent sans fin, leur extase se renouvelle à chaque caresse, avec
une vérité que j’ai peu vue au cinéma, créant des tableaux d'un esthétisme saisissant. Inutile de dire que les actrices se
livrent à une prestation exceptionnelle, ces scènes d’amour débordent de
sensualité, illustrant comme jamais le dialogue charnel entre deux
êtres chavirés par le désir.
Le film s’attarde dans un premier
temps sur ces quelques mois de la vie d’Adèle pour ensuite, sur plusieurs
années, conter l’évolution de cet amour et sa fin, parce que oui, cet amour va
mourir et faire passer Adèle de l’adolescence à l’âge adulte ; elle va
souffrir, elle va comprendre qu’on peut ne plus aimer celle pour laquelle on aurait tout sacrifié quelques années plus tôt.
Au-delà de la
passion des débuts, Kechiche interroge avec la même vérité le visage
que prend cet amour une fois installé. Quelques années ont passé, Emma et
Adèle vivent ensemble, Adèle est devenue institutrice tandis qu’Emma tâche de
se faire un nom dans le milieu pictural. Au détour d’une scène d’anniversaire, rythmée
comme elle le serait dans le temps de la vie, ce qui fait la relation
d’aujourd’hui entre les deux femmes est dit : Adèle s’est mise en quatre
pour préparer la soirée et faire la cuisine, elle reçoit avec émotion les amis
des Beaux-Arts d’Emma qu’elle rencontre, on le comprend, pour la première fois.
Adèle est mise à l’honneur par Emma en quelques phrases à l’occasion d’un
« toast », l’artiste remerciant sa femme et sa muse et pourtant, la distance est palpable : Adèle n’a
que peu à dire dans des conversations d’artistes férus d’histoire de l’art,
elle joue les maîtresses de maison, attentive, servant le mieux qu’elle peut
les amis d’Emma, un tantinet méprisants à l’égard de l’institutrice bonne cuisinière ;
et Emma de ne pas venir un instant au secours d’Adèle qui n’a pas sa place dans
cette assemblée. L’abnégation d’Adèle, parfaitement consentie, semble
unilatérale. La fusion a comme disparu. La scène du coucher des deux amantes à
l’issue de la soirée est révélatrice à cet égard, car point de scène torride
malgré le désir d’Adèle mais une conversation sérieuse sur l'oreiller : Emma regrette
qu’Adèle ne cherche pas à se réaliser dans l’art alors qu’elle a une jolie
plume. Adèle se défend, elle est très heureuse dans son métier d’institutrice. Projection
de l’artiste sur sa compagne, incompréhension qui guette, manque de points
communs… leur amour bat de l’aile.
Jusqu’à la
rupture définitive entre Adèle et Emma, Kechiche conte une grande histoire
d’amour, au diapason d’une jeune femme en devenir. Adèle est une pure, pure dans sa
jeunesse, dans sa liberté, dans ses sentiments et l’art de Kechiche est tout
aussi pur dans la sincérité qui émane de chaque plan mouvant, serré, sur ses
héroïnes. Qui a déjà aimé, qui a déjà souffert après le premier amour perdu ne
pourra être que bouleversé par ce récit d’une authenticité merveilleuse. Un de
ces films qui laisse une empreinte profonde, après lesquels on n’est plus tout à fait pareil.
Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux |