Pour les courageux qui
n’auront pas peur de la longueur de ce texte ; j’avais tant de choses à
dire sur ce Tarantino foisonnant !
Le
temps a passé depuis la sortie de Django (« the
D is silent »), et pourtant je m’étais ruée en salles découvrir le nouvel
opus de Tarantino. J’ai tardé à en parler mais le souvenir que le film m’a
laissé est si prégnant qu’il est impossible de ne pas lui consacrer un
article !
Parce
que ce film est un bijou de cinéma. Le spectacle y est roi, l’Histoire
revisitée avec la maîtrise d’un auteur qui propose sa vision propre, après
avoir pris le temps de se nourrir des œuvres qui l’ont précédé et de ses
racines américaines.
Une
maturation juste à point pour jouer de l’instrument cinéma et s’approprier dans
une fiction ô combien riche un pan de l’Histoire américaine, ici sa politique
esclavagiste. Un cinéma cultivé mais jamais prétentieux, bourré de clins d’œil
cinéphiles, un cinéma virtuose, et enfin jouissif puisqu’il se paye le luxe de réinventer
la grande histoire sanguinaire, enfin… de réinventer l’histoire jusqu’à un
certain point.
La
cruauté des pratiques esclavagistes y est en effet décrite par le menu. De ce
côté, le réalisme fait très mal. Mais Tarantino a le talent de savoir mêler
drame et humour comme peu savent le faire. Un mélange parfait où la dérision se
mêle à la violence, le tout saupoudré d’une réflexion sur ce que sont loyauté
et humanité : on appartient à la famille que l’on choisit, le traître n’a
pas la couleur de peau que l’on croit, le bien et le mal ne sont pas l’apanage
exclusif de l’homme blanc ou de l’homme noir. Cela va peut-être sans dire,
n’empêche qu’à l’époque où se déroule l’histoire et encore pour quelques-uns
aujourd’hui, une évidence qui n’allait pas de soi.
Tarantino
nous offre le plaisir de mettre en scène son héros Django, esclave affranchi,
qui va régler leur compte aux esclavagistes dans une vengeance savoureuse tant
elle est inattendue malgré la trame de
départ, et parsemée de répliques cultes.
Django,
(Jamie Fox dont j’ai découvert les yeux magnifiques sans ses lunettes fumées de
Ray Charles), a le bonheur de trouver sur sa route le chasseur de primes Dr
Shultz interprété par Christoph Waltz, et se retrouve jeune affranchi. Libre,
il bénéficie d’une formation hors pair en tir de flingue et jeu de rôles, le
tout dans une première partie qui nous promène dans les paysages de l’Amérique
sauvage, au rythme des répliques fines et drôles échangées entre les deux
comparses. Premier objectif de leur voyage : zigouiller deux frères
esclavagistes que seul Django peut reconnaître pour être passé sous leur fouet
hystérique.
Tarantino
joue avec les codes cinématographiques avec la même maîtrise qu’il conclut son
récit d’un juste happy end, ni trop
ni pas assez happy. Partout où la
référence est présente, elle est détournée et exploitée autrement. Jamais le
spectateur n’est emmené où il croyait malgré le parcours des héros semé
d’étapes symboliques propres au genre - ou plutôt propres aux genres :
western, polar, film d’action, comédie burlesque…
Ainsi,
des sympathisants Klux Klux Klan, agressifs sur leur monture, arrivent à toute
allure aux abords du campement de fortune où Django et Shultz sont censés
dormir, pour les tuer bien sûr. Plan large et spectaculaire de cette cavalcade
dans la nuit, les chevaux gravissant la côte qui doit les mener à leurs
victimes. Là, ce n’est pas la tuerie à laquelle la mise en scène nous préparait
qui a lieu, mais une scène de comédie à se plier en deux : les cavaliers
ont tous le visage cagoulé d’un tissu blanc, tissu coupé la veille par l’épouse
de l’un d’entre eux, percé de deux trous grossiers pour laisser les yeux
découverts… enfin en principe, puisque la dispute entre les cavaliers a pour
point de départ ces trous mal faits qui les empêchent de voir ! Se pose
alors la question de porter ou non ces cagoules bricolées, on n’est pas
d’accord, le mari de la couturière s’insurge, on ne sait plus s’il faut porter
la cagoule telle quelle au risque de se tromper de cible ou améliorer le modèle
en vue d’une prochaine expédition meurtrière, etc. L’humour de Tarantino est
concentré dans une scène comme celle-ci, ridiculisant les aïeux précurseurs des
mouvements racistes qui habituellement font frémir…
Nombre de
scènes sont ainsi détournées, surprenant notre horizon d’attente et augmentant
par là notre plaisir de spectateur, cueilli.
Une
fois les frères esclavagistes punis comme il se doit par Django, l’enjeu du
récit se corse : il s’agit de pénétrer le fief du terrible Candie
interprété par DiCaprio (dément dans ce rôle) pour tenter de sauver du
magnat des plantations de coton la belle épouse de Django, Broomhilde.
Tarantino,
par une première scène magistrale chez Candie, nous signifie illico que Django
et son acolyte Shultz viennent d’entrer dans la maison du diable.
Django se
fait passer pour un esclavagiste lui-même, vendeur de lutteurs pour le compte
de riches exploitants assoiffés de spectacle. A son arrivée dans le salon de
Candie, Django tarde comme nous à voir le visage du roi des lieux car Candie
est de dos, installé dans un canapé, fumant et sirotant un verre de whisky,
entouré d’une maîtresse noire aux formes sculpturales. Il est passionné par le
spectacle pourtant insupportable qui se déroule devant lui : deux esclaves se
battent à mains nues, et à mort. Côtes cassées, yeux crevés, nuques brisées,
rien ne nous est épargné car si le montage image nous concède quelques
respirations, le son œuvre en continu par une suggestion pire encore. A cet
instant, nous savons que Django risque très gros car il est entré en enfer. Non
seulement il risque de ne pas parvenir à ses fins – c’est-à-dire repartir avec
sa belle délivrée – mais il risque de mourir car avec Candie, on ne plaisante
pas.
Un
enfer de sang et de cruauté, voilà l’univers de Candie pourtant affable avec
ses invités dont il ne saisit pas la mascarade tout de suite, permettant à
Tarantino de déployer tous ses talents de conteur. Le cinéaste joue avec nos
nerfs dans un suspense qui va grandissant puisque nous tremblons à l’idée que
nos héros Django et Shultz soient démasqués. Le sang des esclaves noirs sur
lequel s’est bâti l’empire Candie suintera des murs dans une scène finale
spectaculaire aux allures de BD, sang qui répond au sang versé
depuis des générations et qu’analyse (pour une fois avec justesse et sans trop
de prétention) un journaliste des Cahiers
du cinéma.
Vous
l’aurez compris, l’intelligence du sieur Tarantino transpire elle aussi de tous
les pores de ce superbe divertissement, à quantité de niveaux, dans la fiction
comme hors fiction. Ainsi la BO est comme toujours avec le cinéaste riche de
trouvailles : Ennio Morricone bien sûr en hommage aux westerns qui forment
la toile de fond de Django, rap
américian en référence à l’insolence batailleuse des noirs américains
aujourd’hui, ou encore le rôle attribué à Christoph Waltz dans le film : Waltz hérite ici du rôle le plus attachant, fantasque, cultivé et
merveilleux qui soit en prêtant ses traits au Dr Shultz alors que,
souvenons-nous, Tarantino lui avait confié dans Unglorious Bastards le rôle de l’infâme colonel dont
l’intelligence, le trilinguisme et la perversité étaient au service de
l’Allemagne nazie. Jolie réponse, donc, que ce Dr Shultz toujours de nationalité
allemande dans Django Enchained, qui incarne
ici le raffinement de l’Allemagne du 19ème siècle, humaniste et cultivée. A
l’image de Tarantino... qui a l’humour en plus.