dimanche 6 novembre 2016

"Black mirror", Charlie Brooker




Black Mirror est une série britannique qui a démarré en 2011. La troisième saison produite par Netflix est en cours de diffusion au Royaume-Uni. Avec un sens aigu de la satire sociale et un culot comme seuls les Anglais en sont capables, elle analyse comment la technologie tout écran (comprenez le miroir noir du titre) nous unit à elle, et pour le pire plus que pour le meilleur.
Chaque épisode, indépendant, situe son action dans un futur proche indéfini ; le look des protagonistes comme les décors ressemblent à ceux de notre époque et seuls quelques détails apparaissant au fil de la narration nous signaleront que nous ne sommes pas exactement de nos jours (maisons ultra modernes, voitures rétro, télécommandes spécifiques…). Pour vous donner une idée du mordant du propos, il suffit d’évoquer le sujet du premier épisode de la saison 1 intitulé Hymne national. Au petit matin, un homme est réveillé par un coup de téléphone suffisamment alarmant pour qu’il saute du lit illico. On le retrouve en pyjama dans un beau bureau lambrissé entouré de conseillers qui lui servent du « Monsieur le Premier ministre ». Tous les regards sont tournés vers un écran plasma : dans une vidéo, l’équivalent de la princesse Kate est en larmes, les cheveux en bataille. Elle annonce entre deux sanglots avoir été kidnappée. Elle est la tragique messagère d’un chantage qui concerne très directement le Premier ministre. Elle sera tuée à 16h ce même jour s’il n’accepte pas, en direct sur la chaîne nationale et sans trucage, de faire l’amour à un cochon… Oui, un porc, une truie pour être exacte ! Vous imaginez qu’à la stupeur du ministre succède le sourire incrédule puis la gravité requise puisque ce n’est pas une blague. La vie de la princesse est entre ses mains et l’info, damn it! a déjà fuité sur les réseaux sociaux : quoi qu’il fasse il sera donc décrédibilisé, perçu comme un criminel coupable d’égoïsme ou comme un monstre zoophile. Bref, où qu’il regarde il est perdant, mais sa responsabilité est engagée. En voilà un dilemme politique moderne ! Je vous laisse découvrir la suite qui vaut le détour, interrogeant avec malice la fascination monstrueuse dont des citoyens sont capables du moment que c’est du jamais vu, qu’une vie est en jeu et qu’on plaint autant qu’on déteste l’homme puissant mis en difficulté… Grande richesse d’écriture donc, servie par une mise en scène sobre et élégante, parfait contrepoint au propos crade et déjanté.
Quant à l’épisode 3 Une histoire complète de toi, il est tout aussi génial. Entre quelques personnages va se dérouler un grand drame où la technologie apportera la vérité jusqu’ici si bien cachée par les hommes. Imaginez que chacun soit équipé d’un « grain » dans la nuque, soit une puce magique greffée sous la peau qui enregistre la moindre scène de votre vie. Muni de votre télécommande personnelle, vous pouvez vous rediffuser mentalement tout instant de votre existence et vérifier ainsi le bien fondé de vos impressions. Mieux encore, vous pouvez projeter sur n’importe quel écran une scène de votre Histoire et la faire visionner aux autres, ou regarder l’Histoire de quiconque de votre entourage. Ainsi devient-il possible de vivre une action tout en se remémorant une plus ancienne si elle est plus agréable, d’analyser le lendemain d’un entretien le faux-sourire que le recruteur a ébauché avant de vous congédier, de zoomer sur un détail dont vous doutez mais qui, une fois précisé, ferait toute la différence…. La liste est infinie. Ce « grain » enregistreur ne laisse plus de place au doute ou à la mésinterprétation. Il montre les faits. Il détient la vérité indiscutable. Il ne divague pas, lui, contrairement à notre pauvre cerveau sensible assisté d’une mémoire défaillante et sélective, qui à partir d’un détail peut construire une histoire complexe sujette à interprétations variables. Nul doute que cette super technologie va nous rendre la vie plus facile ! Il n’y a qu’à observer combien les smartphones sont déjà capables de rendre la vie au foyer plus harmonieuse et non de semer la zizanie... Alors une vidéo intégrée et disponible qui sait absolument tout, pensez donc ! Voici la porte ouverte à une vérité qui se cacherait dans les détails. Sommes-nous prêts à l’affronter ?
Sur cette trame passionnante, le scénariste Jesse Armstrong élabore une histoire à la mécanique parfaite qui questionne notre libre arbitre comme notre capacité de jugement. Avec Black Mirror, une chose est sûre : nous voilà acteurs face à notre écran, happés par des questionnements existentiels d’une profondeur supérieure à la 3D.