mardi 4 novembre 2014

Le Centquatre expose Jeune Création



Je reconnais d’immenses qualités au Centquatre : un lieu de vie polymorphe dédié à l’art, où il y a de la place pour tous les talents et toutes les identités. Expositions, théâtre, concerts, ateliers d’artistes en résidence… Cafétéria pleine de magazines à disposition, chaises longues parsemées sur le site, garderie équipée, superbe librairie…. Ici, spontanément, les artistes amateurs du quartier ou non, viennent en toute liberté danser, répéter leurs chorégraphies de breakdance, leurs passes de jongleurs ou leurs postures de yoga hongrois. Un joyeux bordel sonore où les musiques des uns viennent flirter avec celles des autres. Certains choisissent les couloirs éclairés de spots rouges qui confèrent l’ambiance underground qui leur va bien, d’autres jeunes femmes vêtues de leggings et chaussées de baskets dernier cri perfectionnent leurs mouvements en observant leur reflet dans d’immenses vitrages qui font office de glaces comme dans les studios de danse. Le tout gratis. Le tout pour le bonheur des passants comme vous et moi qui s’émerveillent d’assister à ces entraînements en direct, telles des petites souris indiscrètes à qui on ne rappelle jamais d’un regard en coin qu’elles perturbent le work in process. Certes, les ateliers d’artistes, eux, sont plus compliqués d’accès, pas ouverts en permanence, mais l’idée est là. Voilà bien un Centre culturel grand ouvert à tous, et très vivant. Un principe vraiment louable à Paris.
            Honneur est donc fait aux jeunes talents. Dans ce contexte, Jeune Création fêtait ces jours-ci sa 65ème édition. Comme le décrit le site du Centquatre, «  Jeune Création, laboratoire de pensée et d’idées, décloisonne les pratiques au travers d’une programmation à la frontière des genres et des formats. Véritable lieu de rencontres et d’échanges, Jeune Création est un rendez-vous annuel incontournable de repérage et d’exploration pour les professionnels et les amateurs. » Ce « laboratoire de pensée et d’idées » m’a décontenancée. Je m’interroge sur la dimension artistique de ce que j’ai vu. 
Je ne débattrai pas de la question du beau que l’on est susceptible de rechercher dans une œuvre d’art, définition trop aléatoire et changeante. Mais au moins du principe de toute recherche artistique. Telle que j’ai été éduquée à l’art à travers l’exploration de pistes aussi variées que celles des arts premiers, de Rembrandt, Richard Serra ou Jeff Koons, j’ai eu pour habitude de percevoir une idée, un propos, une émotion, une histoire que l’œuvre seule tentait de me transmettre. Que j’y sois sensible ou pas, c’est l’œuvre et son support qui, en dehors de toute explication ou décryptage analytique, tenaient un langage et venaient à ma rencontre.

Ce que je discute dans les œuvres exposées dans cette édition 2014 de Jeune Création, c’est que pas un seul travail n’est évocateur en lui-même. Ne seraient les textes épinglés au mur qui, dans un descriptif pompeux typique de certains critiques d’art, tentent de décrire la démarche de l’artiste, je n’aurais perçu aucun propos, aucune idée maîtresse pour chaque travail. Pour beaucoup de ces artistes, ce n’est plus le travail sur la matière (peinture, acier, bois, résine, eau, tissus, vidéo, sons, etc.) qui commande l’œuvre. Les matériaux sont bruts et ils sont disposés dans l’espace visuel ou sonore dans cette pratique de l’installation ou de la performance qui sont sensées faire sens, faire tourner nos méninges, nous interroger sur la société, nous mettre en garde contre un monde devenu nocif dont on cherche à sortir par la réflexion, le retour à l’enfance, le questionnement des origines… Le problème c’est que l’œuvre ainsi mise en scène ne parle pas d’elle-même. Pas étonnant que les artistes triés sur le volet pour cette édition – une cinquantaine de projets retenus sur près de 3 000 dossiers – soient présents pour expliquer au spectateur leur travail. L’un deux, lauréat d’un prix, me confiait d’ailleurs qu’il regrettait que les gens ne lisent pas plus souvent le texte accompagnant son installation, raison pour laquelle il était là une bonne partie de la journée pour expliquer son travail au public… Aveu bien malgré lui que l’installation à proprement dit ne véhicule pas toute seule une idée suffisante. Je n’ai rien contre le hors-texte ; bien fait, il vient souvent éclairer notre impression, préciser un contexte ou une biographie, nourrir notre réflexion en nous renseignant sur la démarche de l’artiste. Mais quand, sans le discours joint, l’œuvre reste muette, alors il me semble que le travail artistique ne remplit pas sa fonction. D’autant que l’émotion, autre réponse spontanée du spectateur, se fait de plus en plus rare en raison de ces matériaux que la main de l’artiste n’a ni domptés ni modifiés. Conclusion : soit je n’ai rien compris, soit il n’y a pas grand-chose à comprendre dans cette offre culturelle pourtant très en vogue.
Pour vous faire votre idée : http://www.jeunecreation.org/jeune-creation-2014/artistes/