mercredi 15 janvier 2014

"Platane", Eric Judor



Grand, grand coup de cœur pour Eric Judor et sa série ovni Platane ! Surtout sa saison 2 diffusée à l’automne dernier sur Canal +. Pour moi Eric Judor c’était une moitié du couple Eric et Ramzy ; leur duo respirait une telle complicité que leur humour, même un peu ras les pâquerettes, me les rendait sympathiques, mais leur personnage adoré de « gogol » me faisait un peu sourire, pas plus. Le temps passe, les succès cinéma (La Tour Montparnasse infernale) alternent avec les bides (Les Dalton) et les inséparables décident de tracer leur route chacun de leur côté histoire de se renouveler. C’est dans ce contexte que naît en 2011 la première saison de Platane créée par Eric Judor. Et là, c’est un comique très original qui surgit, un comique qui, derrière la légèreté délirante des scènes, aborde pas mal de sujets intéressants, avec beaucoup d’intelligence. Je m’explique.
Judor se livre à l’exercice d’un faux autoportrait. Dans la saison 1 de Platane, il endossait le rôle d’Eric Judor du duo Eric et Ramzy qui percutait un platane en voiture puis restait un bon moment dans le coma pour découvrir à son réveil que le monde avait continué de tourner sans lui, et notamment son complice Ramzy. Dégoûté de ne pas être irremplaçable, il se lançait alors dans une carrière de cinéaste de film d’auteur et ce, non sans difficulté. C’était déjà l’occasion d’une satire du milieu télévisuel et cinématographique : les producteurs bidons comme Eric Judor qui n’a pas d’expérience mais qui a l’arrogance de tout savoir alors qu’il ne contrôle pas grand-chose de son projet, les chaînes de télé qui portent aux nues un artiste pour l’ignorer totalement l’année suivante, la mégalomanie des réalisateurs et acteurs, les people qu’on croit sympas mais qui ne passent plus les portes, le public ingrat qui prend toujours Eric pour Ramzy … Une toile de fond très parisienne au ton déjà gonflé avec en son cœur un Eric qui ressemblait au vrai Eric de la vie mais aussi à un personnage de fiction.
Même combat dans la saison 2, les frontières se brouillent, permettant à Judor de rire de lui comme de son personnage sans que l’on sache bien distinguer la fiction de la biographie. Avec ce principe du faux autoportrait, il se permet un peu près tout. Le personnage d’Eric est la mauvaise foi incarnée, son ego en a pris un coup donc il veut être pris au sérieux et respecté seulement voilà, c’est Monsieur Gaffe. Son flot verbal est la source d’une drôlerie répétée car il s’embrouille en permanence : à peine a-t-il affreusement choqué son interlocuteur tout déconcerté qu’il tente de se rattraper, enchaînant excuses maladroites, mauvaise foi, histoires à dormir debout pour se justifier et tenter de récupérer la bienveillance de l’autre… Et ainsi les malentendus s’enchaînent : il froisse la plupart de son entourage, veut toujours bien faire tout en se tirant régulièrement une balle dans le pied, provoquant rebondissement sur rebondissement qui le mènent à… la catastrophe. Le mélange de naïveté presque infantile à la fausse prétention du personnage est un fondement du comique qui rend Eric très sympathique malgré tous ses faux-pas, touchant aussi, gagnant donc rapidement notre complicité.
Dans la saison 2, Eric n’a pas changé mais le décor, oui. Une ellipse a eu lieu depuis la projection de son film La Môme 2.0 en fin de saison 1, projection qui laissait supposer son échec en tant que cinéaste de films d’auteur… En début de saison 2, on le retrouve exilé dans le Nord canadien depuis un an, vivant avec Diane qui confectionne des bottes en peau de renne et le fils de celle-ci, Paul, un ado surdoué plus mature avec ses treize ans qu’Eric avec ses quarante. Tout aussi décalé dans le monde des indiens bûcherons à la mystique ancestrale que dans celui des cinéastes sérieux, Eric a l’air de se porter pas trop mal dans sa nouvelle vie quand la mort accidentelle de ses parents le rappelle à Paris... enfin pour être précise, à Montigny. Accompagné de sa femme Diane et de Paul, le voilà confronté au deuil de ses parents égoïstes et aussi à leurs énormes dettes ! Il est donc contraint d’accepter la proposition faite un peu plus tôt par Ramzy, à savoir tourner la suite de La Tour Montparnasse infernale le temps de toucher un gros chèque avant de repartir pour le Canada. Mais rien ne va se passer comme prévu, grâce à son incomparable talent de semeur de trouble.
C’est même une sorte de parcours du combattant qui attend Eric : installé dans la maison parentale à Montigny, son couple connaît la crise, il souffre d’une cataracte grave, Guillaume Canet comme d’autres cinéastes à succès le méprisent plus que jamais, ses retrouvailles avec Ramzy sont houleuses, il veut faire un enfant à sa compagne mais n’y arrive pas… le tout sur fond de deuil des parents, problèmes financiers et doute de l’artiste qui ne sait plus ce qu’il vaut comme acteur. A travers nombre de rebondissements, des thématiques politiquement incorrectes sont traitées avec un art du burlesque irrésistible (enfants handicapés, racisme, psychanalyse de couple, partouze, meurtre d’animaux, croyance vaudoue…) Ainsi Eric se plaît à dépasser les bornes mais toujours un peu malgré lui ce qui le rend pardonnable et attachant, et puis quoi de mieux que les défauts, les siens d’abord puis ceux des autres pour faire une comédie ? Ci-dessous, l’exemple d’un épisode révélateur de la mécanique narrative délirante utilisée par Eric Judor.
Eric veut faire un cadeau original à Paul,  son « presque fils » comme il l’appelle. Son ex-compagne Diane le vexe, convaincue qu’il n’a naturellement rien prévu de spécial pour l’événement. Eric de se défendre, mais… bien sûr qu’il a prévu une surprise, et une sacrée surprise même! Et là c’est évidemment l’impro totale : invité au Petit journal de Barthès  pour la promo de la Tour infernale 2 il se prend le bec en direct avec son acolyte Ramzy (je vous laisserai découvrir pourquoi). Il course alors Ramzy dans les loges pour lui casser la gueule et s’en prend à une porte fermée, se blessant la main. L’affrontement a ému un vigile du plateau télé qui est en réalité un ancien voyou à la gâchette facile prêt à tout pour venger Eric de l’affront de Ramzy. Après être passé à l’hôpital pour sa main blessée, Eric avise un sans abri qui a des chiens dont l’un est très mignon, il négocie et l’achète au SDF. Le chien est bourré de puces (bien sûr) et s’avère très agressif, mordant Eric à la main. Eric enferme donc l’animal dans le garage. Retour à l’hosto pour soigner la morsure. Avec ses deux mains bandées, difficile de conduire, il fait donc appel au vigile au grand cœur Dédé qui lui avait laissé sa carte dans le cas où il voudrait régler son compte à Ramzy le traître. Eric l’appelle, lui confie son problème de cadeau d’anniversaire, Dédé a la solution et promet de revenir le soir même : il ramène Bob Sinclar himself qui s’engage, sous la menace de Dédé, à faire le DJ le lendemain pour l’anniversaire de Paul…
La mécanique est imparable « l’enfer étant pavé de bonnes intentions ». Eric a sa part de responsabilité mais la dynamique des événements est plus forte que lui, incarnée ici en la personne de Dédé sur qui il n’a aucun contrôle. Résultat des courses : le lendemain Sinclar mixe devant le garage où le chien hurle tandis qu’à l’étage Eric, impuissant avec ses deux mains bandées, tente en vain d’ouvrir la fenêtre pour prévenir le célèbre DJ du danger car il vient d’apprendre qu’il a contracté la rage !
Plusieurs personnalités du milieu people se sont prêtés au jeu de la participation en guests dans la série, jouant leur propre rôle - faux propre rôle si vous avez suivi - à cela près qu’ils sont pour la plupart prétentieux et méprisants. Mention spéciale à Dujardin vraiment très drôle en auteur d’un nouveau Zorro plus ringard que jamais. 
Du Canada aux Antilles où Eric effectuera un retour aux sources, épinglant au passage le rapport de force entre Guadeloupéens et Français de la métropole, Platane vous fera rire du grave comme du léger, en s’appuyant sur un comique de situation hérité des Marx Brothers et autres grands du burlesque car Judor connaît ses classiques… Cette saison 2 de Platane est un souffle nouveau sur le genre de la comédie et confirme qu’Eric Judor est bourré de talent.

PS : le lien vers le très drôle teaser de la série :
http://www.programme-tv.net/news/series-tv/42433-eric-judor-teaser-hilarant-retour-platane-canalplus/

Comment Eric en est arrivé là en saison 2...?

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