mercredi 29 mai 2013

"La vie d'Adèle", Abdellatif Kechiche


Bien loin de la polémique autour du mariage pour tous à laquelle des commentateurs ont tenté de raccrocher le film distingué par la Palme d'Or, La vie d’Adèle est avant tout une magnifique histoire d’amour prônant la liberté de la jeunesse dont je suis sortie comme sonnée.
En osmose avec les sentiments de sa jeune héroïne, Adèle, une lycéenne de caractère mais dotée d’une fragilité propre à l’âge de toutes les attentes et de tous les idéaux, Abdellatif Kechiche nous plonge dans la vérité des sentiments les plus purs et les plus beaux qui soient : ceux du premier amour, jalon essentiel de la construction de soi, vécu avec une personne plus mûre – ici une femme peintre aux cheveux bleus, Emma, lesbienne affirmée. Adèle a un coup de foudre et face à ce bouleversement intérieur, elle ne peut que suivre son désir, si fort, et n’être toute entière plus que sentiments à l’état pur. La caméra de Kechiche capte avec un art qui n’appartient qu’à lui les émotions d’Adèle, tout ce qui la traverse. Elle aime, pour la première fois, et qui plus est une femme quand ses copines de lycée tentent à tout prix de la caser avec le beau mec du secteur. Face à cette tornade qui l'envahit, elle vibre, vit de tout son être l’aventure qui lui est offerte, avec sa liberté de jeune femme qui fait fi du regard des autres.
Le désir est dans toutes les images, dans les silences ponctués de sourires, dans les regards échangés entre Emma et Adèle, dans un rayon de soleil qui ponctue leurs baisers échangés dans le parc et dans des scènes d’amour où la dévoration mutuelle illustre la passion dans sa version la plus brûlante et la plus authentique. Le langage des corps, sa crudité, sa beauté, son évidence éclatent dans des scènes filmées au plus près de l’intimité des deux jeunes femmes. Leurs corps s’emboîtent, leurs bouches se cherchent sans fin, leur extase se renouvelle à chaque caresse, avec une vérité que j’ai peu vue au cinéma, créant des tableaux d'un esthétisme saisissant. Inutile de dire que les actrices se livrent à une prestation exceptionnelle, ces scènes d’amour débordent de sensualité, illustrant comme jamais le dialogue charnel entre deux êtres chavirés par le désir.
Le film s’attarde dans un premier temps sur ces quelques mois de la vie d’Adèle pour ensuite, sur plusieurs années, conter l’évolution de cet amour et sa fin, parce que oui, cet amour va mourir et faire passer Adèle de l’adolescence à l’âge adulte ; elle va souffrir, elle va comprendre qu’on peut ne plus aimer celle pour laquelle on aurait tout sacrifié quelques années plus tôt.
Au-delà de la passion des débuts, Kechiche interroge avec la même vérité le visage que prend cet amour une fois installé. Quelques années ont passé, Emma et Adèle vivent ensemble, Adèle est devenue institutrice tandis qu’Emma tâche de se faire un nom dans le milieu pictural. Au détour d’une scène d’anniversaire, rythmée comme elle le serait dans le temps de la vie, ce qui fait la relation d’aujourd’hui entre les deux femmes est dit : Adèle s’est mise en quatre pour préparer la soirée et faire la cuisine, elle reçoit avec émotion les amis des Beaux-Arts d’Emma qu’elle rencontre, on le comprend, pour la première fois. Adèle est mise à l’honneur par Emma en quelques phrases à l’occasion d’un « toast », l’artiste remerciant sa femme et sa muse et pourtant, la distance est palpable : Adèle n’a que peu à dire dans des conversations d’artistes férus d’histoire de l’art, elle joue les maîtresses de maison, attentive, servant le mieux qu’elle peut les amis d’Emma, un tantinet méprisants à l’égard de l’institutrice bonne cuisinière ; et Emma de ne pas venir un instant au secours d’Adèle qui n’a pas sa place dans cette assemblée. L’abnégation d’Adèle, parfaitement consentie, semble unilatérale. La fusion a comme disparu. La scène du coucher des deux amantes à l’issue de la soirée est révélatrice à cet égard, car point de scène torride malgré le désir d’Adèle mais une conversation sérieuse sur l'oreiller : Emma regrette qu’Adèle ne cherche pas à se réaliser dans l’art alors qu’elle a une jolie plume. Adèle se défend, elle est très heureuse dans son métier d’institutrice. Projection de l’artiste sur sa compagne, incompréhension qui guette, manque de points communs… leur amour bat de l’aile.
Jusqu’à la rupture définitive entre Adèle et Emma, Kechiche conte une grande histoire d’amour, au diapason d’une jeune femme en devenir. Adèle est une pure, pure dans sa jeunesse, dans sa liberté, dans ses sentiments et l’art de Kechiche est tout aussi pur dans la sincérité qui émane de chaque plan mouvant, serré, sur ses héroïnes. Qui a déjà aimé, qui a déjà souffert après le premier amour perdu ne pourra être que bouleversé par ce récit d’une authenticité merveilleuse. Un de ces films qui laisse une empreinte profonde, après lesquels on n’est plus tout à fait pareil.

Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux

2 commentaires:

  1. Quel hommage ! Quelle belle invitation pour le spectateur et... quel talent de la belle narratrice au delà de celui du metteur en scène... Tes mots sont magnifiquement posés sur la page avec la finesse et la justesse qui te caractérisent ma belle Claire. Merci !

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  2. Bon, ça me donne presque envie d'aller voir ce film, qui ne me disait que vaguement (par curiosité voyeuriste pour LA fameuse scène) (non, je plaisante)... Merci ! As-tu lu la BD dont il est tiré ? ("Le bleu est une couleur chaude")

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